La rencontre entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement ne peut qu’être salvatrice. Mais comme la politique n’est pas toujours bien loin, faut-il croire que le président de la République a voulu dire à Hichem Mechichi qu’il n’est pour rien dans ses critiques incessantes? Auquel cas, ce dernier devrait à l’avenir adopter une ligne de conduite.
Un ancien enseignant universitaire français de l’Institut Français de Presse (IFP), Pierre Albert, qui a formé des générations d’universitaires et de chercheurs de l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information (IPSI) de Tunis, aimait à répéter cette phrase: « Ce à quoi un chercheur et un journaliste se doivent de s’intéresser en priorité ce sont les évidences. »
S’intéresser donc à ce qui semble donc en toute apparence aller de soi. « Ce qui s’impose à l’esprit avec une telle force qu’on n’a besoin d’aucune autre preuve pour en connaître la vérité », pour reprendre une définition du dictionnaire français Larousse.
Essayons d’appliquer ce conseil de notre universitaire français pour nous interroger sur le pourquoi de l’audience qui a été accordée par le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, au chef du gouvernement, Hichem Mechichi.
Une baisse des tensions
Relevons, à ce chapitre, qu’il est bien normal que les deux têtes de l’exécutif communiquent. C’est là du reste l’évidence. La gestion des affaires de l’Etat exige cela. Et c’est le cas dans tous les pays du monde.
Reste que l’on sait que les deux hommes sont en froid et qu’il y a quelques mois que, et à part quelques apparitions dans les aéroports ou dans des cérémonies officielles, les deux responsables ne sont pas vus et parlé. A cause des différends entre les deux hommes et dont le chef de l’Etat a en quelque sorte reconnu l’existence et l’a sans doute minimisée. En disant qu’il était normal que des différences de point de vue surviennent entre les composantes et dirigeants politiques. Insistant cependant sur l’unité de l’Etat.
La rencontre du 26 mai 2021, au Palais de Carthage, participe-t-elle d’un nouveau cap ? Possible. Ce qui est certain c’est qu’elle ne peut qu’assurer une baisse des tensions qui peut se révéler salvatrice. Autant dire qu’il y a là quelque part une main tendue pour que les choses reprennent un cours normal dans une démocratie.
Mais comme la politique n’est pas toujours bien loin, il faudrait émettre l’hypothèse que la rencontre ait peut-être servie à faire passer un message. Possible que le chef de l’Etat ait voulu signifier à Hichem Mechichi que ce n’est pas à lui à qui il en veut en quelque sorte.
Son combat, le chef de l’Etat le mène contre le bloc central –on l’aura compris- de ceux qui soutiennent Mechichi: son coussin politique. En clair, les trois composantes politiques qui dès le jour de son obtention de la confiance à l’ARP, le 3 septembre 2020, les représentants de ce noyau dur qui se sont réunis avec lui pour constituer cette fameuse ceinture.
Suivre le fil d’Ariane
A rapprocher de cette vision des choses, cette accusation faite par le passé à Mechichi par un important acteur de la scène publique qui lui a dit que des parties l’utilisent « pour faire passer leurs agendas à travers le contrôle de ses décisions». Le chef de l’Etat a-t-il voulu, si l’on fait le choix de cette logique, indiquer qu’il y est peut-être temps que l’intéressé comprenne cela de manière définitive? L’occasion de lui dire qu’il n’est pas impliqué dans cette bataille qui ne semble pas être terminée. En témoigne le discours du chef de l’Etat, la veille de l’Aïd, à la Mosquée Zitouna, sur l’islam et l’islamisme.
A bien observer les choses, le chef du gouvernement a été peut-être malgré lui, au cœur de l’imbroglio que connaît la scène politique. Car, lorsqu’on tente de démêler la pelote de cet imbroglio, on arrive au fil d’Ariane. Lequel nous conduit aux trois composantes qui composent le ciment de ce coussin politique de Mechichi.
Pour s’en convaincre, il y a peut-être lieu de s’attarder sur l’essentiel des thématiques exposées au cours de la rencontre entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement. Qu’il s’agisse de la corruption, de l’inexécution des ordres de justice, du dualisme au niveau de la politique étrangère, des récentes fuites sur un coup d’Etat présenté par un média dont les agendas sont connus ou encore de l’immunité parlementaire. Difficile de croire que le chef du gouvernement est situé aux premières lignes des critiques incessantes de Kaïs Saïed.
Poussons la réflexion plus loin pour dire que si l’hypothèse qui dit que Kaïs Saïed veuille éloigner le chef du gouvernement de cet imbroglio, et donc le gagner, peut-être, à lui se confirme; ce dernier sait qu’il y aurait peut-être à faire somme toute un choix cornélien. Car, il est d’évidence que cela peut poser beaucoup de questions quant à la « survie » de ce coussin politique qui lui apporte son principal soutien au niveau notamment de l’ARP !