Chaque jour apporte son lot de consternation. Qui ajoute à la résignation et à l’indignation des contribuables, victimes d’attaques en règle des institutions républicaines. Grandeur et décadence… de l’État, s’entend en l’an X de la révolution. Il est à peine visible et nullement audible.
Ni craint et moins encore respecté. L’impunité est la règle et l’État de droit l’exception, si tant est que ce dernier donne encore des signes de vie. Fait inédit dans les
annales de l’histoire, pourtant assez tumultueuse du pays, l’État est aujourd’hui mis à mal, agressé, violenté, abîmé et renié par ceux-là mêmes qui en sont l’incarnation.
L’intouchable syndicat de l’enseignement n’en a cure. Il impose son calendrier, son agenda et sa vision d’un enseignement au rabais. Il confisque l’avenir des jeunes et prend en otage leurs parents.
Les magistrats, gardiens du temple républicain, garants de la loi et du droit n’hésitent pas à endosser l’habit du front du refus et à se mettre au travers de la loi. Quand
le 3ème pouvoir s’insurge contre l’exécutif qui brille par sa passivité et s’arroge pendant plus d’un mois le droit de boycotter les prétoires, c’est tout l’édifice républicain qui vacille et se lézarde.
Le pire est qu’ils aient eu gain de cause, sans être inquiétés le moins du monde.
Ils révèlent ainsi l’immense étendue de l’impuissance de l’État et de son incapacité de gérer ce genre de situation de crise, dans le respect du droit et des lois républicaines.
L’État a été réduit au silence, humilié par ceux-là mêmes qui sont censés incarner son autorité. Terrible antécédent dont il portera longtemps les traces de profondes blessures. Les magistrats ont ouvert un vaste boulevard dans lequel vont s’engouffrer, comme si de rien n’était, les commis, grands et petits, de l’État.
« L’État a été réduit au silence, humilié par ceux-là mêmes qui sont censés incarner son autorité. »
La guerre éclair lancée par les agents de recouvrement de l’administration
fiscale fait en quelque sorte écho à celle des magistrats. On y décèle, à peu de choses près, la même stratégie et les mêmes ressorts de la guerre, inspirés par l’état d’impuissance, de peur et d’immobilisme du gouvernement, déstabilisé par ailleurs par une vaste opération de déminage politique.
Quant aux motivations des contestataires, elles se ressemblent quand elles ne sont pas de même ordre et de même nature : résister au changement, aux innovations professionnelles et défendre, vent debout, privilèges, rentes de situations et droits acquis dans des situations assez troubles. Il ne leur suffit pas de déposséder l’État, de le dépouiller de
ses prérogatives régaliennes. Ils lui portent l’estocade finale. On achève bien les chevaux. Car qui mieux que ce corps financier de l’État a meilleure connaissance de l’état des finances publiques ?
Ils revendiquent des primes mirobolantes qui sont, il est vrai, inscrites dans les textes, alors que le versement de leurs salaires, à l’instar de tous les retraités et fonctionnaires de l’État, est hautement problématique. La faillite de l’État ? Ils vivent ses péripéties au jour le jour.
L’argent, c’est le nerf de la guerre. Comment imaginer et admettre que les insurgés du fisc osent fermer, pendant près de trois semaines, le robinet en pleine crise sanitaire et économique, au point de prendre le risque de se faire assimiler aux insurgés du Kamour ?
Ils ne sont pas plus concernés que l’État, peu prompt en ces temps de
disette à respecter ses engagements, mais il incombe à ces soldats de l’ombre, sans doute plus qu’à d’autres, de défendre la sécurité et la pérennité du pays, fût-ce au prix d’énormes sacrifices.
« Comment imaginer et admettre que les insurgés du fisc osent fermer, pendant près de trois semaines, le robinet en pleine crise sanitaire et économique »
Des leviers d’argent aux leviers de commandes, il n’y a qu’un pas que les ingénieurs ont franchi avec force. Ils mènent, depuis plusieurs semaines, une offensive
dévastatrice dont rien ne semble arrêter l’escalade, pas même le risque de pannes d’électricité qui provoqueraient un cataclysme économique.
Les négociations laborieuses, fussent-elles ponctuées d’accords, restent sans effet. Les ingénieurs ne se fient plus à la parole et à la signature des autorités compétentes. Ils attendent de voir venir avant de lever le siège. La crise de confiance et de crédibilité de l’État est à son paroxysme.
Plus proche de nous, le syndicat de transport public était, lui aussi, sur le pied de guerre. Menace de débrayage tous azimuts, terre, ciel et mer et donc de paralysie totale. Comme si le pays n’avait pas suffisamment souffert d’isolement et de confinement économique et social.
La bombe a été désamorcée à l’ultime seconde, au point que le pays s’était endormi avec l’idée cauchemardesque de trafic au point mort. L’éclaircie sera sans doute de courte durée, en attendant le prochain départ de feu. Et qu’importe si l’économie et celles et ceux qui y vivent poursuivront leur descente en enfer ?
A peine a-t-on éteint un foyer d’incendie qu’un autre se déclare de manière quasi rituelle. Le gouvernement fait mine de ne pas céder avant de déposer les armes, l’humiliation
en plus. Une reddition au vrai sens du terme, d’autant que le plus souvent, il s’agit plus d’une guerre larvée ou ouverte que d’un mouvement de grèves.
Grèves sauvages, sans préavis, sans service minimum, sans limites, sans le respect de l’éthique et du Code de travail et de surcroît, aux frais du contribuable. Rien de moins qu’une démonstration de force, dont les insurgés, coordinations ou syndicats sortent vainqueurs.
« La crise de confiance et de crédibilité de l’État est à son paroxysme… »
Le gouvernement paie aujourd’hui les frais de son attitude, pour le moins conciliante et peu dissuasive. Et fait perdre aux contribuables temps et argent. Et au pays, toute chance de redressement. Il a vite fait de céder quand il fallait sanctionner toutes celles et tous ceux dont les agissements portent atteinte à la stabilité et à la sécurité du pays. Il n’a pas su arrêter à temps la chaine de contamination de cette pandémie d’un genre nouveau. Ni réquisition, ni sanction, ni même rappel à l’ordre.
Et au final, tous les corps de l’État sont gagnés par ce démon dévastateur, au grand dam de l’économie, des finances et des citoyens contribuables. Capituler à chaque fois au motif d’acheter la paix sociale est hautement contre productif et relève d’une chronique d’un désastre annoncé. L’évidence s’impose.
L’État n’a plus les moyens financiers d’une telle pratique, érigée en politique de gouvernement, sauf à vouloir payer en monnaie de singe, en faisant fonctionner la planche à billets avec les risques d’une hyper inflation que l’on redoute. Ou en reniant chaque fois
ses propres promesses, mettant de nouveau le feu aux poudres.
Les fonctionnaires de l’État ont des droits et même l’immense mérite d’assurer, par gros temps, la continuité du service et des secteurs publics. Mais ils n’ont pas plus de droit qu’il ne leur est permis quand l’intégrité du pays et sa sécurité sont en danger.
Et au final, tous les corps de l’État sont gagnés par ce démon dévastateur, au grand dam de l’économie, des finances et des citoyens contribuables.
Si la barque Tunisie penche trop de côté, emportée par sa voile et le vent des revendications, il sera difficile de la redresser ; elle finira par chavirer. C’est dire que le
moindre geste de désobéissance civile, d’insoumission, d’hostilité en temps de crise équivaut à un casus belli, inadmissible et inacceptable.
Le gouvernement a toutes les raisons de le faire savoir. Il a tout à perdre et rien à gagner à vouloir tergiverser. Le courage, l’audace, la sincérité et la clarté payent à tous les coups.
Mieux vaut crever l’abcès à temps, avant que le mal ne se répande dans tout le corps de l’État. Le temps lui est compté.
Une chose est sûre : il perd beaucoup à vouloir le gagner en achetant à crédit une problématique et éphémère paix sociale, que seule la remise en marche de l’économie peut assurer.
Les grévistes, coeur battant de la fonction publique, doivent s’extraire de leur logique conflictuelle. Qui mène droit au chaos, à l’anarchie et à la montée en puissance du populisme dans ce qu’il a de plus détestable et de plus dangereux