Enclavé, largement désertique, le Mali est un des pays les plus pauvres du monde. Une situation aggravée par une instabilité politique chronique. Le pays vient de connaître un troisième putsch en près d’une décennie. Le second en neuf mois. Un nouveau coup d’Etat, mené par quelques colonels proches du conseil national de transition.
Le 24 mai au soir, le colonel Goïta a justifié l’arrestation du président intérimaire du Mali, Bah N’Daw, et du premier ministre Moctar Ouane par « une intention avérée de sabotage de la transition »… Derrière la formule alambiquée, il ne s’agit rien d’autre de d’un nouveau coup d’Etat militaire renforçant la déstabilisation politique et la défaillance étatique; dans une zone elle-même déstabilisée. Une situation qui est le résultat de l’onde de choc régionale des conditions de la chute du régime de Khadafi en 2011. Année où le pays a sombré dans le chaos, sans pouvoir politique national. En quête lui-même de sécurité et de stabilité politique et en proie à la division et aux tensions claniques et tribales.
Une nouvelle donne géopolitique
Les coups de force en série que connaît le Mali, depuis le coup d’Etat qui a renversé le Président Amadou Toumani Touré il y près de dix ans, s’inscrivent dans une séquence plus longue de près de dix ans d’immixtion du militaire dans le politique. Sur fond d’affaiblissement d’un Etat ciblé par les assauts de groupes armés djihadistes et d’indépendantistes Touaregs. Une ingérence interne intempestive qui rend difficile la stabilisation d’un système politique démocratique. Pis, c’est l’Etat lui-même qui est fragilisé par cette instabilité politique.
La région est hautement crisogène; ce à cause de la conjonction de diverses évolutions. Espace de contacts, mais cloisonné par des frontières coloniales artificielles, la région sub-saharienne est devenue une zone de transit (de produits délictueux) pour des organisations mafieuses. Parallèlement, des organisations terroristes islamistes y sont désormais ancrées. Enfin, la région est riche de matières premières (uranium, fer, pétrole, etc.). Dans ce contexte, la disparition de l’Etat libyen et la fin de la politique saharo-sahélienne (marquée par le soutien financier de l’Etat malien et à diverses tribus) conduite par le colonel Kadhafi (qui avait réussi à fédérer les grandes tribus autour d’une vision de développement de la Libye et de ses voisins) ont défini une nouvelle géopolitique sahélienne.
Après la chute de Kadhafi, le retour des combattants Touaregs financés par Khadafi a bouleversé la donne dans le Nord du Mali. Or depuis l’indépendance, le Mali a connu plusieurs rébellions des Touaregs, peuple nomade du Sahara d’origine berbère. Lequel est entré en rébellion contre la domination des populations sédentaires noires du Sud. En outre, l’éparpillement des armes de l’ex-armée loyaliste et l’ancrage de foyers djihadistes sur le territoire libyen constituent autant de sources de déstabilisation. Des organisations djihadistes ont trouvé sur ce vaste territoire sahélo-saharien un terreau fertile pour propager leur doctrine et développer une économie criminelle
Un défi pour l’Europe et l’Afrique
En une décennie, la défaillance des États libyen et malien a fait du Sahel une poudrière et un péril majeur pour l’Afrique et l’Europe. Leurs territoires sont devenus la plateforme de groupes mafieux et terroristes. Une base arrière qui permet à la fois à ces derniers de se replier et de conduire des opérations en Europe, en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne. Mais aussi de tirer profit de la crise migratoire subsaharienne. En contrôlant une large part des routes de l’exil empruntées par les immigrés africains pour rejoindre l’Afrique du Nord et l’Europe.
Si la crise libyenne a des conséquences directes sur la situation d’insécurité dans la bande sahélo-saharienne, l’Algérie est appelée à ses propres responsabilités (en intégrant le G5-Sahel ?) au regard de sa proximité et de son statut de puissance militaire de la région. Dans le cadre de l’opération antiterroriste « Barkhane », près de 5 000 militaires français sont déployés au Mali. Selon Paris, la « lutte contre le terrorisme islamiste » et la régulation de la « crise migratoire » passent par la création d’un « axe intégré entre Afrique, Méditerranée et Europe ».
En février 2018, lors d’une visite à Tunis, le président Macron avait exprimé son souhait d’organiser une réunion entre pays européens et du Maghreb. Et ce, pour décider d’une « ambition commune méditerranéenne ». Une déclaration d’intention restée lettre morte jusqu’ici. Mais qui confirme un volontarisme présidentiel consistant à replacer la Méditerranée au cœur de la géopolitique nationale et européenne. Un retrait précipité permettrait aux groupes djihadistes de revendiquer une victoire militaire et symbolique. Qui y aurait intérêt? Personne, y compris sur la rive nord de la Méditerranée. Car l’effondrement du Mali constitue une menace pour la sécurité aussi des Européens.