Le limogeage brutal du président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), Imed Boukhris, pour des raisons inconnues pour l’heure, relance le conflit ouvert entre le président de la République et son chef de gouvernement. Un bras de fer doublé d’une guerre de positions entre les deux pôles de l’Exécutif.
Pour le président de la République, Kaïs Saïed, c’est du pain béni. Car, décrit par ses détracteurs à l’intérieur et même sur la scène internationale comme principal responsable de la crise politico-institutionnelle qui paralyse le pays, le chef du gouvernement vient de lui offrir un cadeau sur un plateau d’argent. Et ce, en procédant au limogeage brutal du président de l’INLUCC, Imed Boukhris. Donnant ainsi l’impression qu’il cherche à étouffer certains dossiers de corruption. Et offrant du coup le rôle de Monsieur Propre, cheval de bataille de celui qui l’avait nommé à ce poste.
Imed Boukhris limogé le matin et reçu le soir par Kaïs Saïed
En effet, il était démis de ses fonctions dans la matinée du lundi 7 juin 2021 et remplacé par un autre magistrat, Imed Ben Taleb. Pourtant, le magistrat limogé était reçu le même jour à une heure tardive de la nuit, au palais de Carthage.
Un épisode qui rappelle étrangement celui de l’ancien ministre de la Culture qui fut limogé à l’époque par le chef du gouvernement. Mais reçu et réconforté le jour même par le président de la République. Une couleuvre de plus à avaler pour Hichem Mechichi. De quoi exacerber davantage les relations exécrables entre la Kasbah et Carthage.
Corruption encore et toujours
« Votre limogeage était prévisible, car vous avez soulevé plusieurs affaires et apporté des preuves infaillibles incriminant plusieurs personnes; parmi lesquelles celles dont la prestation de serment a été refusée. L’une de ces personnes a une affaire devant le pôle financier et d’autres trainent des affaires de corruption ». Ainsi, déclarait le Président lors de l’audience accordée à Imed Boukhris. En faisant allusion directement au remaniement ministériel qu’il refusait de parapher.
Et d’enfoncer le clou: « De quelle lutte contre la corruption parle-t-on? Ils luttent contre ceux-là mêmes qui se dressent contre la corruption. En plus de cela, ils violent la loi qu’ils ont eux-mêmes instaurée. La corruption ne se combat pas par les mécanismes qu’ils ont installés. Des mécanismes qu’ils ont mis en place afin de cacher certains dossiers. »
Nul doute que le limogeage contesté et inopportun de l’ancien président de l’INLUCC, un magistrat dit-on intègre et respecté, est une aubaine pour le Président.
Car, depuis le remaniement ministériel décidé par son chef du gouvernement sans son aval, il aura obstinément refusé d’accueillir les nouveaux ministres à Carthage pour la cérémonie de la prestation de serment. Sous prétexte que des suspicions de corruption planent sur certains d’entre eux.
Ainsi, selon le Président, Imed Boukhris aurait été limogé pour avoir « soulevé plusieurs affaires et apporté des preuves incriminant plusieurs personnes. Parmi lesquelles celles dont la prestation de serment a été refusée ». Du coup, il démontre qu’il avait raison de bloquer la nomination de ces ministres. Et se disculpe ainsi, en prenant les Tunisiens à témoin d’avoir cherché à entraver le travail gouvernemental.
Et la Tunisie dans ce combat de coqs?
Reste un casse-tête chinois: et si le Président refusait, comme c’est prévisible, de parapher la nomination du nouveau président de l’Instance de la lutte contre la corruption?
A première vue, c’est l’impasse. En effet, les deux têtes de l’Exécutif semblent camper sur des positions irréconciliables. A la rigueur, c’est leur problème. Mais qu’en est-il de la menace voilée du président du Conseil européen qui avait clairement conditionné le soutien de l’UE à un dialogue politique « apaisé »; et ce, en marge de la dernière visite du Président à Bruxelles?