La jeunesse est déçue par le processus de transition démocratique. D’ailleurs, sa condition économique et sociale ne s’est pas améliorée, voire s’est dégradée, comme en témoigne le choix de l’exil de nombre d’entre eux. Un désenchantement conforté par les rapports toujours aussi conflictuels entre la jeunesse et la police.
Dix ans après la révolution de 2011 ayant entraîné la chute du régime policier du président Zine el-Abidine Ben Ali, les dernières manifestations et protestations contre les violences commises par la police ont un caractère paradoxal. D’un côté, elles traduisent en acte l’un des acquis (fragiles) de la révolution, tels que les libertés d’expression, de manifestation… De l’autre, elles réveillent les vieux démons chez une jeunesse des quartiers populaires confrontée à l’arbitraire et aux abus de policiers forts d’une impunité de fait.
Le retour de l’Etat policier?
Derrière le paradoxe, une question: l’État policier (c’est-à-dire un régime reposant sur la capacité de l’institution policière pour imposer un ordre arbitraire, au mépris des droits et libertés des citoyens assimilés à une menace potentielle) est-il vraiment révolu? Et ce, au regard de la multiplication des violences perpétrées par des agents dépositaires de la force publique et de la faiblesse des réactions-sanctions de la part des autorités compétentes.
Ce type de défaillance porte atteinte à l’Etat de droit, dans lequel les autorités publiques (politiques ou administratives, y compris celles chargées du maintien de l’ordre public) sont soumises au respect des règles de droit; notamment les libertés publiques des simples individus. Or le degré de violence étatique jugé illégitime, injustifié et même illégal alimente insensiblement une culture de la violence qui essaime bien au-delà des rangs des manifestants. En effet, ce sont les familles des blessés qui sont touchées, puis leurs proches et leurs cercles élargis jusqu’à concerner la société dans son ensemble. De loin en loin se cultive le ressentiment à l’égard des forces de l’ordre, de ceux qui les dirigent, voire les actions de désobéissance civile.
La jeunesse peine à voir tout progrès en matière de justice sociale
Le pic de tension s’inscrit dans un contexte plus global. Un désenchantement qui semble se prolonger par un manque de foi dans le nouveau régime à répondre à ces attentes, à ces urgences. L’absence d’une caisse de résonance des préoccupations des jeunes dans la classe politique a provoqué une crise de confiance aiguë. Plus qu’un paradoxe, il s’agit là de la manifestation d’une fracture politique et sociale entre la jeunesse et la plupart des institutions du pays, y compris les partis politiques. Ceux qui ont fait chuter le régime dictatorial se trouvent de fait exclus du nouveau régime. Une injustice historique confortée par le malaise que provoque l’image renvoyée par la démocratie naissante en Tunisie… Un constat qui renforce le sentiment de trahison à l’égard de politiques qui auraient confisqué la révolution.
Peu représentée dans la classe politique dirigeante, la jeunesse peine à voir tout progrès en matière de justice sociale. Non seulement le taux de chômage atteint les 40% dans certaines régions (les mêmes qu’avant la révolution); mais il continue à frapper particulièrement de jeunes diplômés qui continuent à peupler les terrasses des cafés populaires. Poussés par le désespoir et les illusions d’un ailleurs meilleur, de jeunes tunisiens continuent à s’aventurer par vagues entières dans des embarcations de fortune. Ce fléau déjà connu avant la chute de l’ancien régime s’est « prolongé » par le phénomène djihadiste.
Art. 8 de la Constitution: L’État veille à assurer aux jeunes les conditions nécessaires au développement de leurs capacités…
C’est sans doute l’un des principaux enjeux pour le pouvoir en place: guider son action à l’aune des prescriptions de l’article 8 de la Constitution. Lequel édicte: « L’État veille à assurer aux jeunes les conditions nécessaires au développement de leurs capacités, de leur prise des responsabilités et à élargir et généraliser leur participation à l’essor social, économique, culturel et politique ».
Tant que la situation de la jeunesse tunisienne ne s’améliorera pas, non seulement la révolution ne sera pas achevée, mais pire, un nouveau cycle révolutionnaire pourrait s’ouvrir. Une véritable épée de Damoclès avec laquelle devra vivre le nouveau gouvernement condamné à agir dans l’urgence et avec efficacité…