C’est miraculeux que la Tunisie version 2021 présente encore des signes de vie. On s’étonne qu’elle ne soit pas encore balayée, rayée de la carte des pays autrefois à revenus intermédiaires. Il n’est pas exclu, à la vitesse à laquelle elle s’enfonce dans l’inconnu, qu’elle soit mise sous couvercle avant de sombrer dans le néant et l’oubli.
Les pays frères et amis s’en détournent, horrifiés par notre acharnement d’autodestruction sans fin. Nos bailleurs de fonds, autrefois si prévenants et si accueillants, nous ont déjà mis à l’index.
Nos principaux alliés, avec ou sans réelle visée hégémonique, prennent peur pour leur sécurité et agitent le spectre du droit d’ingérence, n’ayant plus rien à espérer d’une classe politique, pourtant, aux ordres, par qui le mal et les scandales arrivent.
On voit déjà s’incruster l’image d’une Tunisie, réduite à une sorte de base avancée, à souveraineté limitée. Si les dirigeants d’aujourd’hui, comme ceux qui les ont précédés,
avaient reçu mandat de déconstruire le pays, d’y semer le chaos, la déchéance morale et éthique et de provoquer sa faillite financière, ils n’auraient pas fait mieux. Carthago delenda est – Carthage est détruite. Quoi d’autre ? Quoi de plus ? L’histoire
est cruelle.
Qu’avons-nous fait de ce pays, autrefois souverain, paisible, attractif et séduisant, où il faisait bon d’y vivre et d’y produire, en dépit d’un lourd déficit démocratique ? Que sommes-nous devenus, en dix années d’errance dans une mer déchainée par d’interminables vagues contestatrices sans cap, sans boussole et sans destination précise ?
Le pays fait figure d’un bateau ivre, balloté par les flots, secoué par la houle, menacé en permanence par l’inconsistance et l’incompétence d’un équipage de fortune, sans véritable maître à bord, incapable de naviguer, fût-ce à vue.
« Qu’avons-nous fait de ce pays, autrefois souverain, paisible, attractif et séduisant, où il faisait bon d’y vivre et d’y produire, en dépit d’un lourd déficit démocratique ? »
Les politiques qui se disputent les commandes, sans en maîtriser l’art, ne valent pas plus que des capitaines de pédalo, enrôlés au hasard de circonstances. Ils ne savent pas d’où ils viennent et moins encore où ils vont dériver, sous l’effet des vents.
Dix ans d’un voyage sans fin, au milieu de tempêtes politiques, sociales et sociétales, aggravées par l’amateurisme et l’incurie de dirigeants aux liaisons et aux motivations dangereuses, ont fini par provoquer d’immenses voies d’eau. Ils ont fait couler l’économie nationale, privée de surcroît de visibilité, de mécanismes de régulation et de moyens de relance. Et du moindre signe de confiance.
Qu’en est-il de notre flotte nationale de PME/PMI – et de ses navires amiraux – avec à leur tête les entreprises publiques devenues aujourd’hui des vaisseaux fantômes ? Elles sont désormais sous tente d’oxygène, en état de mort cérébrale, ce qui n’est pas pour abréger le calvaire des contribuables.
Elles cumulent les pertes injustifiées, les emplois fictifs en toute légalité, les déficits abyssaux et les dettes, sans commune mesure avec leur niveau d’activité. Elles grèvent les finances publiques et plombent la croissance, reléguée depuis longtemps au placard des accessoires. Elles sont si toxiques, pour avoir été tellement contaminées par le virus des revendications et de la contestation sociale, qu’elles semblent incurables. Sauf à leur administrer un traitement chirurgical lourd, accompagné d’un gouvernement d’entreprise, exemplaire d’efficacité et d’équité.
« Qu’en est-il de notre flotte nationale de PME/PMI – et de ses navires amiraux – avec à leur tête les entreprises publiques devenues aujourd’hui des vaisseaux fantômes ? »
Seule manière de les mettre de nouveau en capacité d’anticiper, de se projeter dans le futur, de produire, de créer et de distribuer de vraies richesses. On n’en est pas là. Et il est
peu probable qu’on soit capable de nous inscrire dans une stratégie de rupture, pour qu’au sommet de l’appareil de l’État, on décide de faire autre chose que ce qui se fait jusque-là : un éphémère rafistolage de façade, sans oser s’attaquer à la racine du mal, aux réformes d’ordre structurel.
L’État, aux apparitions furtives, a laissé dépérir ses propres entreprises qui sont, à leur corps défendant, à des années-lumière de l’impératif de compétitivité, de rationalité et d’efficacité. Il n’a pas, du reste, secouru, ni porté assistance à ces soldats de l’ombre que sont les PME/PMI, qui ont été emportées par le tsunami de la pandémie du Covid-19.
Moins de 2% du PIB leur était alloué, au titre du plan d’aide financière. Autant dire une goutte d’eau dans l’océan de leurs besoins de liquidité.
L’improvisation, les hésitations, les atermoiements et les dysfonctionnements des pouvoirs publics ont causé d’énormes dégâts dans le tissu productif national. On navigue à contre-courant. On ouvre les frontières, au risque de propager la pandémie, quand le monde se confine et se protège. On ferme, on confine et on condamne à l’arrêt l’activité, quand de partout, on ouvre et célèbre le retour de la croissance. Ignorée dans l’intervalle toute idée de politique vaccinale. Le choc est terrifiant, des contingents entiers d’entreprises ont dû fermer, des milliers d’emplois ont été détruits, faute de prise en charge et de soutien financier.
« L’improvisation, les hésitations, les atermoiements et les dysfonctionnements des pouvoirs publics ont causé d’énormes dégâts dans le tissu productif national. On navigue à contre-courant. »
Mais le mal est plus grave encore. La crise sanitaire a mis à nu la fragilité de nos infrastructures hospitalières, l’absence d’une véritable gouvernance, la fébrilité, le manque d’autorité et de discernement des pouvoirs publics et leur incapacité de lutter contre la crise sanitaire. Ni guerre, ni chef de guerre, mais une débandade et une fuite en avant, qui confinent à la démission et à la désertion.
Le pays en sort affaibli, exsangue, meurtri. Plus de 15 000 décès de la Covid-19. Très peu de pays ont fait pire que nous, alors que tout nous prédisposait à un meilleur sort, au regard de notre capacité potentielle de lutte contre la pandémie. Et ce décompte macabre n’est pas prêt de s’atténuer, à la vitesse de propagation du virus sous tous ses variants, que rien ne semble arrêter. Ni le respect des mesures barrières, ni surtout la faible disponibilité des vaccins qui tardent à venir autrement qu’à doses homéopathiques.
La barre des 15 000 victimes de la Covid, officiellement du moins, est pulvérisée et bientôt bien loin derrière nous. Nos hôpitaux, qui ne respirent pas la santé, sont débordés et bientôt au bord de l’effondrement, sous l’afflux des malades, alors que le pic de contamination n’est pas annoncé pour bientôt.
Une saignée comme le pays n’en avait jamais connue. Une véritable hécatombe, au passif d’un État qui aura un jour ou l’autre à répondre de ses carences et de ses fautes.
« Très peu de pays ont fait pire que nous, alors que tout nous prédisposait à un meilleur sort, au regard de notre capacité potentielle de lutte contre la pandémie. »
Le gouvernement se gausse de son improbable et peu fiable « coussin politique », si tant est qu’il est de nature à lui assurer un sommeil tranquille.
Le président de la République, sabre en l’air, lutte contre les moulins à vents, les provocations et les complots supposés ou réels. Il n’est jamais là où il doit se trouver, sur les lignes de front.
Le Parlement, déjà déconsidéré, délégitimé, fait craindre le pire, avec la réincarnation d’une
funeste dictature au relent religieux.
A force de vouloir se contrôler les uns les autres, les trois présidents ont fini par perdre tout contrôle. Ils ont abimé le pays, affaibli l’État et malmené les institutions et les valeurs républicaines.
Ils auront pour longtemps encore ces victimes sur la conscience et ils ne pourront pas se repentir d’avoir endeuillé autant de familles et jeté sur le bord de la route des milliers de salariés, à qui ils ont fait perdre leur emploi et leur source de revenu. Ils ont échoué sur les deux tableaux : ils n’ont réussi à sauver, ni les vies humaines, ni les entreprises et les emplois.