Dans un pays qui fonctionne normalement, où les serviteurs de l’Etat ont la compétence et le sens de responsabilité nécessaires, le ministre des Transports, par exemple, démissionne immédiatement après un grave accident de la route ou des chemins de fer.
Mais en Tunisie, ni l’anéantissement systématique des fondements économiques, ni la gestion criminelle de la pandémie, ni l’état de mendicité dans lequel est réduit le pays ne semblent suffisamment graves pour provoquer la moindre démission du moindre serviteur de l’Etat.
Serviteurs de l’Etat ? Voire. En cette décennie noire, quatre présidents, une dizaine de chefs de gouvernement, des centaines et des centaines de ministres et de députés se sont relayés au Palais de Carthage, au Palais du Bardo et dans les ministères. Très peu, une infime minorité d’entre eux auront servi l’Etat. Et ont eu la grandeur d’âme de s’atteler au service des intérêts supérieurs de la Nation. Tous, autant qu’ils sont, à de très rares exceptions, se sont servis de l’Etat pour se servir et servir ceux qui, dans l’ombre, tirent les ficelles.
C’est parce qu’elle a eu le malheur d’être gouvernée une décennie durant par des hommes sans compétence et dépourvus d’honnêteté, de moralité et du sens du devoir que la Tunisie a vu son économie détruite, sa classe moyenne sombrer dans la pauvreté et son peuple s’enfoncer dans la misère. La parenthèse parrainée par le Quartet qui lui a valu le prix Nobel de la Paix, fut un simple rayon de soleil sans lendemain. C’est parce qu’elle a eu le malheur d’enfanter une telle espèce de politiciens que notre pays est devenu le haut lieu de la corruption, de la malversation, de l’escroquerie, de la concussion, de la forfaiture, de la tricherie, de la fraude, de la falsification, de la prévarication, de la friponnerie. En un mot, le haut lieu de la déchéance morale.
Protecteurs du terrorisme
Au cours de cette décennie noire, on peut dire sans risque de se tromper que l’Etat tunisien est le seul au monde où l’on vit les grands dignitaires politiques servir les intérêts du terrorisme international plutôt que ceux de leur propre peuple. C’est le seul pays au monde où le procureur de la République œuvrait pendant des années à protéger des milliers de terroristes contre les poursuites judiciaires. C’est le seul pays au monde où un procureur de la République se permettait de soustraire à la justice 6268 affaires de terrorisme, sans qu’il soit lui-même traduit en justice. C’est le seul pays au monde où des élus ont fait en toute impunité dans l’enceinte du parlement l’éloge du terrorisme. Autant de crimes d’une incroyable gravité, sans que le gouvernement ni le ministère public ne trouvent à redire.
Une infinité d’exemples peuvent être alignés ici pour souligner le haut degré atteint par la déliquescence de l’Etat tunisien. Un Etat détourné des fonctions pour lesquelles il fut établi par les pères fondateurs. Un Etat transformé en machine infernale au service des prédateurs petits et grands. Un Etat infesté jusqu’à la moelle par le virus dévastateur de l’islam politique.
Dix ans de gestion criminelle des affaires politiques, économiques, sociales et sanitaires ont mené le pays non pas au bord, mais au fond du gouffre. Et que font le gouvernement, le parlement et la présidence pour nous sortir de là? Creuser et creuser encore.
Petit miracle ou haute manipulation ?
Venons-en maintenant à la gestion criminelle de la pandémie qui nous place, proportionnellement à la population, en tête de liste dans le monde en nombre de contaminations et de morts. Le chef du gouvernement a limogé le ministre de la Santé. Expliquant sa décision devant les caméras, M. Mechichi s’est violemment déchainé contre le Dr Faouzi Mehdi pour « sa décision criminelle » de convoquer les Tunisiens de plus de 18 ans à deux journées de « vaccination exceptionnelle ». Les conséquences de cette décision sont sans doute désastreuses. Mais plus désastreuse encore est la facilité avec laquelle le chef du gouvernement tente de se laver de toute responsabilité de la gestion criminelle de la pandémie. C’est son attitude, peu digne de sa fonction, consistant à s’offrir à peu de frais un bouc émissaire sur lequel il pense pouvoir se décharger de sa responsabilité politique et morale de la mort de milliers de Tunisiens.
Prenant les gens pour des imbéciles, le chef de l’Exécutif veut nous faire croire qu’il n’était au courant de rien et que le ministre de la Santé a pris sa décision dans le plus grand secret, sans informer ni le Mechichi chef du gouvernement, ni même le Mechichi ministre de l’Intérieur. Les lois et les pratiques de la politique communément admises voudraient qu’en pareille situation le premier responsable tire lui-même les conséquences au lieu de démettre le ministre de la Santé.
Mais le limogeage du ministre de la Santé semble avoir produit un petit miracle. A moins que ce ne soit un exercice de haute manipulation. 24 heures après le départ forcé du Dr. Faouzi Mehdi, le nombre des morts est passé de 177 à… 97! Honni soit qui mal y pense.