En s’appropriant quasiment tous les leviers du pouvoir, le président de la République, Kaïs Saïed, semble avoir porté le coup de grâce au leader historique d’Ennahdha et président de l’ARP. Aurait-il mené ce « coup d’Etat constitutionnel » sans l’appui de l’armée et des forces sécuritaires et l’aval des puissances étrangères? Difficile à croire, tant l’enjeu est déterminant pour l’avenir de notre pays.
Signe du destin? En ce dimanche 25 juillet 2021 maussade et triste, aucun signe de festivités; pas de drapeaux ni de guirlandes dans nos villes. Rien qui rappelle aux Tunisiens que cette date correspond à la célébration du 64ème anniversaire de la République.
Soudain, à l’aube, l’hymne national retentit dans le ciel de Tokyo grâce à l’exploit extraordinaire d’un jeune nageur tunisien de 18 ans, venu de nulle part. Lequel se permet le luxe de remporter la médaille d’Or aux 400m nage libre, au nez et à la barbe du gotha de cette discipline reine.
Dimanche soir. Le président de la République, Kaïs Saïed réunit, dans l’urgence, les dirigeants et hauts cadres sécuritaires et militaires. Et ce, pour discuter des évènements qui ont émaillé le pays, ce jour de fête nationale.
Une aventure calculée?
Ton martial, visage grave, ayant endossé enfin l’habit présidentiel, le Président se lance dans une aventure calculée. Ça passe ou ça casse.
Ainsi, en fin connaisseur du droit constitutionnel, il active pêle-mêle l’article 80 de la Constitution. Décide de suspendre les travaux de l’ARP et la levée d’office de l’immunité de tous les députés. Limoge sur le champ le chef du gouvernement Hichem Mechichi, assurant par lui-même la présidence de l’exécutif. En attendant de nommer un nouveau chef du gouvernement; lequel sera responsable directement devant lui.
Sans omettre, et c’est d’une extrême importance, de présider en personne le Ministère public pour suivre toutes les affaires soulevées contre les députés. Ces mesures prennent un effet immédiat, soulignait le chef de L’Etat. En précisant qu’il légifèrera par décrets-lois et qu’un texte sera aussitôt publié.
Coup de poker
Ainsi, en un audacieux coup de poker, le Président s’approprie tous les leviers du pouvoir. Et il réunit entre ses mains le pouvoir exécutif et judiciaire. Coup de maître pour les uns, coup d’Etat constitutionnel pour les autres.
Mais en prenant ces mesures exceptionnelles, le Président est-il resté dans les clous de la Constitution. Laquelle stipule dans son article 80: « En cas de péril imminent menaçant les institutions de la Nation et la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle; après consultation du Chef du gouvernement et du Président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la Cour constitutionnelle. »
Difficile de répondre concernant cette dernière institution en l’absence de Cour Constitutionnelle. D’autant plus que durant la période de 30 jours prescrite, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée comme en état de réunion permanente. Et donc que le Président de la République ne peut la dissoudre ni présenter une motion de censure contre le gouvernement.
Ennahdha crie au coup d’Etat
Alors, la réaction du parti islamiste d’Ennahdha ne s’est pas fait attendre. « Ce qu’a fait Kaïs Saïed est un coup d’État contre la révolution et contre la Constitution. Les partisans de Ennahda ainsi que le peuple tunisien défendront la révolution ». Un discret appel à ses partisans à descendre dans la rue ou même à prendre les armes?
Pour sa part, Rached Ghannouchi assurait, dans un communiqué publié tard dans la nuit de dimanche à lundi, qu’il n’a pas été consulté par le président de la République pour l’activation de l’article 80 de la Constitution. Ce que démentait la présidence de la République. Et que le gel des travaux du Parlement est « inconstitutionnel et illégal ». Faisant savoir que les travaux du Parlement se poursuivront et que le bureau de l’ARP se réunira ce lundi 26 juillet, au sein de l’hémicycle.
Peine perdue puisque, selon Mosaïque FM, il s’est rendu, tard dans la nuit de dimanche à lundi au siège du Parlement au Bardo, avec sa vice-présidente, Samira Chaouachi. Mais l’armée, déployée devant le siège de l’Assemblée, leur en a interdit l’accès.
En attendant de voir plus clair dans cet imbroglio constitutionnel, le bon peuple a bravé le couvre-feu tard dans la nuit du dimanche à lundi. En exprimant son adhésion aux mesures présidentielles par des scènes de liesse, des cris de joie, des coups de klaxons aux quatre coins de la Tunisie.
Pourvu que la fête perdure.