L’éminent juriste Yadh Ben Achour semble privilégier le débat juridique au moment politique. En proclamant avec une certaine raideur que les mesures exceptionnelles prises le 25 juillet par président de la République Kaïs Saïed ouvrent la porte à une dictature « pire que celle de Ben Ali ». Erreur fatale de discernement et surtout de positionnement.
Était-il opportun de la part d’Yadh Ben Achour, alors que la Tunisie s’enfonce dans le chaos et que nous apercevons, enfin, une lueur d’espoir au bout du tunnel, de sortir sur les médias, de surcroît étrangers, pour ternir l’image de son pays. Et ce, en clamant haut et fort que la Tunisie se dirige vers une dictature durable. Et que les récentes mesures exceptionnelles prises par le président de la République ne visent qu’à concentrer tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme. Ouvrant ainsi la porte grandement au despotisme d’un autre temps?
Tour d’ivoire
Certes, les craintes exprimées par Yadh Ben Achour ne manquent pas de pertinence. Mais, l’éminent juriste et universitaire, spécialiste des théories politiques islamiques et de droit public, ne passe-t-il pas à côté de la plaque? Quand, de sa tour d’ivoire d’intellectuel coupé des préoccupations réelles de son peuple, il ne saisissait pas l’extraordinaire réaction des Tunisiens au discours présidentiel du 25 juillet? Et ce, en martelant sur France 24 que « le gel des activités du Parlement pour 30 jours en vertu de l’article 80 de la Constitution, qui envisage des mesures exceptionnelles en cas de péril imminent est totalement anticonstitutionnel; et qu’il s’agit d’un coup d’Etat au vrai sens du terme ».
Ben Achour : « Un putsch contre la Constitution »
L’ancien président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution persiste et signe. Lors de son intervention hier mardi sur les ondes de Shems FM, il soupçonne que les mesures présidentielles interviennent « dans le cadre d’un plan élaboré par le président de la République pour se retourner contre la Constitution ». Donc que le coup était prémédité.
« L’Article 80 n’a pas de sens dans la situation actuelle, en l’absence des conditions pour son application. Soit le péril imminent et la consultation du président de l’Assemblée et du chef du gouvernement ».
De plus, ajoute le juriste, « le recours à l’article 80 de la constitution est injustifié. Car il requiert des conditions de fond et de forme ». Considérant ainsi les annonces présidentielles, comme étant « un putsch contre la Constitution et l’Etat et une transgression de la loi ».
Or, estimait Yadh Ben Achour, « il n’y a pas de péril imminent menaçant la Nation ou la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. De plus, l’article 80 exige de la présidence de la République d’informer le président de la Cour Constitutionnelle ».
Revenant sur le gel de l’activité parlementaire, le spécialiste de droit constitutionnel rappelle que le même article stipule que l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) est considérée, durant cette période, en état de réunion permanente. « L’ARP continue donc son activité et débat de la situation; mais le gel ne permet pas ceci. C’est pour cela qu’il s’agit d’un coup d’Etat », a-t-il argué.
Et d’enfoncer le clou lors d’une deuxième intervention le jour même sur les ondes de Mosaïque FM. « Je dis que c’est un début de despotisme et d’instauration d’une dictature provisoire qui pourrait-être suivie d’une dictature permanente ».
De la compassion mal placée
Ben Achour a exprimé à l’occasion sa « compréhension » des célébrations populaires. Car « le peuple en a assez des politiques suivies depuis la révolution ». Toutefois, « la concentration de tous les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire entre les mains d’une seule personne est un prélude à l’instauration de la dictature ». Tout en estimant que « ce qui s’est passé est un virage dangereux dans la vie de la démocratie tunisienne ».
« Il faut se méfier de ces mesures, car on pourrait se retrouver dans une nouvelle dictature; encore pire que celle de Ben Ali », a-t-il poursuivi. Bigre!
Disons pour résumer qu’au-delà du débat juridique, tout à fait légitime et nécessaire, il faut comprendre que le moment que nous vivons est éminemment politique. Nos intellectuels sont priés de prendre position pour ou contre les attentes immenses de notre peuple.
De plus, crier au loup quant à l’éventualité d’un coup d’Etat menant à la dictature pourrait être interprété comme un alignement sur la position du parti islamiste d’Ennahdha qui nous sort les mêmes arguments. Dont acte.