A bien observer le paysage national depuis les décisions présidentielles du 25 juillet 2021, on ne peut ne pas remarquer ce qui sépare la Tunisie d’en haut de la Tunisie d’en bas. D’une part, ceux dont le quotidien s’est beaucoup dégradé. De l’autre, une élite qui est gagnée, comme de coutume, par la division. Une élite qui reste empêtrée dans ses préoccupations dominées par la politique. En témoigne le large débat qui a lieu au sujet de la légalité ou non du recours du chef de l’Etat à l’article 80 de la Constitution et du respect des droits fondamentaux.
L’information est tombée comme un couperet le 28 juillet 2021: 87% des Tunisiens soutiennent les décisions prises, le 25 juillet 2021, par le président Kaïs Saïed. Et ce, selon un sondage réalisé par le cabinet Emhrod Consulting, entre le 26 et le 28 juillet 2021.
Certes, et encore une fois, les résultats doivent être pris avec une certaine précaution. Et ce, en l’absence notamment d’une loi sur les sondages politiques en Tunisie. Le chiffre constitue cependant une indication importante quant à la réaction de la grande masse des Tunisiens. Et ce, concernant les promesses que peuvent apporter aujourd’hui les décisions présidentielles pour le quotidien des Tunisiens.
Beaucoup en ont marre d’une vie nationale faite de déchirements. Tout cela ne semble pas, cela dit, avoir grand rapport avec l’état d’esprit de l’élite politique. En effet, celle-ci reste empêtrée dans ses préoccupations dominées par la politique. En témoigne le large débat qui a lieu au sujet de la légalité ou non du recours du chef de l’Etat à l’article 80 de la Constitution et par le respect de droits fondamentaux.
Une élite qui est gagnée, comme de coutume, par la division. Nous avons assisté ces derniers jours à des arguments à l’extrême. Y compris de la part de juristes qui revendiquent une scientificité et une aura internationale dans le domaine du droit. Mais qui ne sont pas au fait toujours, mus que par des intérêts de justice et d’équité.
Une certaine propension à centrer leurs intérêts sur la politique
Le débat, y compris les querelles de chapelles, sont certes nécessaires en politique. Mais ne constitue-il pas un luxe pour une majorité de Tunisiens qui aspire à une délivrance d’une situation faite d’injustice, d’inefficacité et d’inaction de l’appareil de l’Etat? La question peut froisser. Mais telle est la réalité d’un terrain qui comporte pour une majorité de Tunisiens des priorités sur lesquelles il faudra en toute évidence s’attarder.
En fait, une fracture entre ce qu’on pourrait appeler la Tunisie d’en haut et la Tunisie d’en bas. Une expression que l’on emprunte à celle utilisée par l’ancien premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin (2002-2005). Et « construite sur une antonymie courante de disqualification de ses opposants et de proximité à l’égard des couches populaires ». Ainsi corrobore l’universitaire française spécialisée dans l’analyse des discours, Sylvianne Rémi-Giraud.
Une fracture que les élites ont au cours de ces dernière années largement amplifié. Et ce, par une certaine propension à centrer leur intérêts sur la politique aux dépends de la vie économique et sociale.
Avec une paupérisation qui ne toucherait plus selon le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES), dans un rapport sur les mouvements de protestation et de revendications sociales enregistrés au mois de mars 2021, que « les groupes sociaux précaires ou les familles nécessiteuses ». Mais aussi « les salariés, les retraités et la classe moyenne de la société tunisienne qui sont considérés comme une soupape de sécurité sociale ».
Le « pot de terre et le pot de fer » !
Dans ce contexte, on ne pourra s’attendre à ce que cette fracture ne valorise pas l’élite aux yeux de tous. Elle peut même l’isoler. La classe moyenne tunisienne représentait, en 2018, selon les statistiques du FTDES, moins de 50% de la population, contre 70% en 2010 et 84% en 1984. Mais surtout qu’elle soit de nature à susciter davantage l’adhésion du peuple aux décisions du président Saïed pour améliorer le quotidien des classes démunies dont le nombre grandi. Cette adhésion ne peut que prendre davantage de forme avec son récent appel en faveur de la lutte contre la cherté de la vie. Et dans sa lutte contre les corrompus qui ont volé les biens publics.
Les élites peuvent continuent leur débat sur la constitutionnalité des décisions présidentielles et sur le respect de la légalité. Ils ne font donc que s’éloigner des masses. Discours marxiste? Pas tout à fait. Il suffit de s’arrêter dans la rue pour parler aux Tunisiens pour se rendre que la fracture est bien là.
Il faut reconnaître qu’en la matière, la grande masse des Tunisiens a l’impression de vivre avec leur élite un épisode qui ressemble beaucoup à ce qui a été raconté par Jean de La Fontaine dans sa fable du « Pot de terre et le pot de fer » !