Fidèle à ses vieilles habitudes, Rached Ghannouchi manie l’art subtil de se présenter devant l’opinion publique internationale en homme de compromis et de dialogue. Tout en brandissant la menace de mobiliser ses troupes pour en découdre avec son éternel ennemi, le président Kaïs Saïed. Extraits de l’entretien qu’il a eu, hier jeudi, avec le correspondant de l’AFP.
La grosse blague. Rached Ghannouchi plus attaché à la Constitution et à la démocratie que son maintien au Perchoir? C’est en tout cas ce dont il a essayé de nous convaincre. Ou plutôt d’amadouer l’opinion publique internationale qu’il prend à témoin. Et ce, à travers une interview accordée jeudi 29 juillet 2021 à l’agence France Presse: « Nous sommes prêts à toute concession, en cas de retour à la démocratie… la Constitution tunisienne est plus importante que notre maintien au pouvoir. Nous sommes toujours prêts à toutes les concessions dans le cadre d’un retour à la démocratie. Et non d’une imposition de la dictature et d’un coup d’Etat »,» a-t-il affirmé.
Le silence des agneaux
Quatre jours après ce qu’il persiste à qualifier de « coup d’Etat », les ponts sont-ils définitivement coupés entre lui et le président de la République? « Il n’y a pas de dialogue aujourd’hui avec le président de la République, ni avec ses conseillers. Mais nous pensons qu’il faut qu’il y ait un dialogue national. Nous tenons à utiliser tous les moyens pacifiques, le dialogue, les négociations, la pression de la rue, la pression des organisations, des penseurs, la pression intérieure et extérieure, pour faire revenir la démocratie », soulignait le président de l’ARP.
Le parti islamiste d’Ennahdha est-il disposé à mener de nouvelles négociations avec Kaïs Saïed? Sans aucun doute, a répondu Rached Ghannouchi. En affirmant être prêt « à toutes les concessions » pour que la démocratie revienne en Tunisie.
Ultimatum de Ghannouchi
Mais, a-t-il averti, « il ne faut pas arriver aux 30 jours souhaités par le Président. Il faut que cela soit la limite maximale à la suspension des institutions et de la Constitution. Et que pendant cette période il y ait des discussions entre le Président et les partis politiques pour se mettre d’accord sur un Premier ministre. Ainsi que sur un gouvernement et sur la présentation de ce gouvernement devant le Parlement, avant la fin du mois ».
Mea culpa?
A la question de savoir si Ennahdha ne payait pas ses erreurs, ses alliances avec des hommes politiques poursuivis pour corruption, ainsi que ses réticences à mettre en place la Cour constitutionnelle dans les délais, le leader historique du parti islamique a balayé ces arguments d’un revers de la main. « Il y a des tentatives de tenir Ennahdha responsable de tous les éléments négatifs des dix dernières années. Mais pendant ces dix ans, il n’y a pas eu que du négatif. Il y a eu des éléments positifs: la Tunisie est restée, dans un contexte régional dictatorial, une exception qui a conservé sa liberté ».
Ose-t-il enfin faire son mea culpa? « Il y a eu des erreurs dans les domaines économique et social. Et Ennahdha porte une partie de la responsabilité, qui correspond à la part de pouvoir qu’elle détenait ». C’est ce qu’il reconnait, mi-figue mi-raisin.
Et de jeter la pierre au chef de l’Etat: « Les partis au Parlement ont fait l’erreur de ne pas réussir à mettre en place de Cour constitutionnelle qui aurait été un arbitre entre les pouvoirs. Le président Saïed a utilisé l’absence de Cour constitutionnelle pour monopoliser l’interprétation de la Constitution. Et devenir lui-même la Cour constitutionnelle. Et cela est une erreur dont nous portons une partie de la responsabilité ».
Enfin, prié de dire s’il comptait appeler ses partisans à la mobilisation, Rached Ghannouchi a menacé que s’il n’y avait pas d’accord sur le retour du Parlement, sur la formation d’un gouvernement et sa présentation au Parlement, « la rue tunisienne se mettra en marche sans aucun doute. Et nous inviterons le peuple tunisien à défendre sa démocratie. Le Président a mis des verrous sur le Parlement, un char à sa porte. C’est une erreur très sérieuse, c’est le moins que l’on puisse dire ».
Or, à voir le nombre squelettique des sympathisants d’Ennahdha accourus au secours du lider maximo, lors de son sit-in, lundi, dans sa berline de luxe climatisée devant les grilles fermées du Parlement, il y a fort à parier que « la rue tunisienne » ne répondra pas en masse à ses appels désespérés.