Elle aura été de tous les combats contre le mouvement islamiste et à tous les fronts. Son parti, le Parti destourien libre, n’a eu de cesse de revendiquer la libération du pays de l’emprise du mouvement islamiste Ennahdha. Aujourd’hui, suite aux décisions historiques prises par le président de la République Kaïs Saïed, Abir Moussi commence à entrevoir l’espoir de voir les islamistes quitter la scène politique tunisienne. Et de surcroît, toutes les structures de l’Etat dont ils ont détruit le fonctionnement. Selon la présidente du PDL, une condition sine qua non s’impose: celle de mettre en place une feuille de route politique et économique claire et précise. Sans laquelle rien ne pourra changer dans le pays et aucune relance ne sera de ce fait possible. Parole d’une femme leader politique.
Pour commencer, Abir Moussi, pourriez-vous nous donner votre point de vue par rapport aux dernières décisions émanant du président de la République? Pensez-vous que Kaïs Saïed a fini le travail que vous avez commencé contre le mouvement islamiste?
J’aimerais tout d’abord préciser une chose importante. Très souvent, nous entendons dire que la priorité devrait être accordée au combat économique afin de relancer l’économie nationale. Mais en réalité, sans une vraie volonté politique, il n’y a aucune possibilité de
sortie de crise économique.
Venons-en au mouvement islamiste. Il faut souligner le fait que les islamistes se sont hissés aux commandes, non pas dans le but de relever le pays et d’y apporter progrès, croissance et développement, mais tout le contraire. Ils ont eu pour mission de détruire le pays et de le reconstruire selon des axes propres à eux et qui rompent avec l’Etat moderne et progressiste.
A plusieurs reprises, nous avons essayé de communiquer avec la présidence de la République afin d’attirer son attention sur les plans douteux des islamistes. Nous, en tant qu’opposition, il est de notre devoir justement de mettre le doigt là où cela fait mal. Nous nous sommes adressés à la Justice et à la présidence du gouvernement pour les mêmes raisons. Face à nos multiples correspondances au président de la République, où nous avons relevé les dépassements
de tout type de la part des membres du parti Ennahdha et leurs acolytes, il n’y a eu aucune réaction.
Nous étions parfaitement conscients que le président de la République a un rôle important à jouer en utilisant ses prérogatives pour mettre fin aux exactions des islamistes. Brusquement et après tant de passivité, Kaïs Saïed s’est résolu à réagir en actionnant l’article 80 d’une Constitution, mise en place pourtant par les islamistes eux mêmes. Maintenant, nous attendons de voir. Pour autant, les islamistes sont toujours présents sur la scène publique et politique.
Donc, par rapport à votre position, soutenez-vous les décisions du président de la République? Bien que d’un point de vue juridique, vous estimiez qu’il y a quelques réserves quant à la constitutionnalité des dites décisions?
Je ne suis pas pour ou contre les décisions du président de la République. En effet, il s’agit de revendications pour lesquelles j’ai milité et bataillé pendant des années. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est de voir ces revendications porter leurs fruits.
D’ailleurs, si le président de la République avait entendu nos demandes et répondu au moins à certaines d’entre elles à temps, il n’aurait pas eu besoin d’actionner l’article 80, prenant le risque de se retrouver dans une position de coup d’Etat. Kaïs Saïed aurait pu intervenir au niveau de la Commission de lutte contre le terrorisme qui l’exhortait à ouvrir les dossiers dans lesquels des membres d’Ennahdha étaient impliqués.
Toutefois, est-ce dans les prérogatives du président de la République d’intervenir à ce niveau?
Étant le chef des Armées et des Forces de l’Ordre national, il aurait pu tenir un Conseil de Sécurité nationale au cours duquel il aurait poussé vers l’ouverture des dossiers en question; pour laisser, par la suite, la Justice suivre son cours. Si je prends l’exemple de l’association de Karadhaoui, nous avons réussi à arracher une décision auprès de la présidence du gouvernement, confirmant que ladite association est hors-la-loi. Il y avait, ainsi, l’opportunité de suspendre ses activités; mais cette opportunité n’a pas été saisie. Sachant que nous avons par le passé entamé des démarches pour une action de suspension et de dissolution de l’association de Karadhaoui auprès de la Justice. Mais notre action a été rejetée, sous prétexte que cela ne nous concerne pas.
Aujourd’hui, Kaïs Saïed n’a fait qu’utiliser des brèches dans la Constitution, que le mouvement Ennahdha lui-même a rédigée, sans y apporter les précisions nécessaires.
Selon vous, quelle pourrait être la prochaine étape et comment voyez-vous la feuille de route?
Nous attendons d’abord que le président de la République actionne et applique la loi de lutte contre le terrorisme. Jusque-là, nous n’avons pas vu grand-chose quant à des décisions importantes, notamment au niveau des finances publiques.
Actuellement, nous sommes en position d’attente. Nous attendons que Rached Ghannouchi rende des comptes et soit tenu pour responsable de toutes les exactions. Une fois que cela sera fait, par ricochet, tous les autres responsables du mouvement islamiste tomberont. Car il faut savoir que depuis 2011, c’est Rached Ghannouchi qui tient les commandes du pays. Il est donc responsable de tous les dépassements et de toutes les crises, politique, économique et sociale.
De notre côté, nous avons mis en place une feuille de route sécuritaire. Elle se résume, en gros, comme suit: nous avons d’abord insisté sur l’importance du respect de la loi et sur le recours à la Justice. Nous avons surtout envoyé des messages d’apaisement à l’opinion publique au sujet de l’indépendance de la Justice. Ensuite, il y a lieu de fermer les sièges de « l’Union nationale des savants musulmans » présidée par Karadhaoui et d’assécher les sources de financement des islamistes. Enfin, il faut actionner les mécanismes de la loi contre le terrorisme pour commencer à livrer à la Justice les fondateurs des cellules terroristes.
Comment voyez-vous le prochain gouvernement? Serait-il politique ou technocrate?
Il faut surtout que les prochains membres du gouvernement soient des personnes expérimentées et expertes en matière de finances publiques et de politiques publiques, qu’elles soient au fait des structures de l’Etat. Il faut également que dans le prochain gouvernement, il n’y ait ni des membres du mouvement islamiste, ni d’anciens partenaires de celui-ci, ni des personnes qui ont échoué auparavant. Car ils sont tout autant responsables des déboires que le pays a connus.
Quels sont, selon vous, les chantiers prioritaires du prochain gouvernement?
Le chantier sécuritaire est en première position selon moi. Car il englobe de nombreux aspects, dont celui de la finance publique, à travers les fonds douteux que le mouvement islamiste a fait entrer dans le pays. La feuille de route sécuritaire est prioritaire, car elle permettra d’instaurer la confiance et d’améliorer le climat des affaires du pays.
Il est question aussi de savoir comment le gouvernement compte fournir les fonds nécessaires pour combler le déficit budgétaire. Il y a aussi la relance économique, la campagne de vaccination pour retrouver un rythme de vie normal et mettre fin à la crise sanitaire. Et enfin la feuille de route politique qui doit être claire et précise.
Étant la première force politique dans le pays, selon les sondages, comment comptez-vous vous y prendre pour peser sur le cours des événements, dans ce contexte de tournant historique de la Tunisie?
Comme je l’ai déjà mentionné, nous nous retrouvons au cœur des événements, car c’est nous-mêmes qui les avons créés. Maintenant, nous attendons de voir la feuille de route politique du président de la République. Et nous déciderons de notre position en fonction. Nous poursuivrons notre combat, notre militantisme, notre action politique de parti. Sans les islamistes, nous travaillerons dans de meilleures conditions.
Pensez-vous que si les islamistes n’existent plus sur la scène politique, le fonds de commerce islamiste n’existera pas aussi?
Oui absolument! Les islamistes sont la source de tous les problèmes du pays et peu importe qui est aux commandes. Tant que la volonté politique est absente, rien ne pourra changer. Aujourd’hui, si nous sommes débarrassés des islamistes, nous pourrons nous consacrer à notre travail et avoir des résultats probants.
Vous auriez un message pour les Tunisiens?
Je leur dirais qu’il est crucial, en cette période, d’être prudent et de ne pas céder à la manipulation. De notre côté, nous nous attellerons à travailler dans l’intérêt du pays et nous soutiendrons toute action allant dans ce sens. Nous soutenons la démocratie et nous
sommes pour le respect de toutes les institutions de l’Etat.
Propos recueillis par Nadya B’Chir