Héla Fourati est directrice générale du Tunisian American Enterprise Fund depuis 2013. Avant de rejoindre cette institution financière, elle a dirigé plusieurs entités internationales d’activités d’investissement, de services financiers, de private equity et de gestion d’actifs. Elle a aussi siégé au sein de plusieurs Conseils d’administration de sociétés de portefeuille. Célébrant la fête nationale de la femme, Mme Fourati nous dresse un état des lieux de son domaine d’activité et de ses enjeux, le private equity. Et elle nous parle de ses réalisations jalonnées de succès et de ses perspectives d’avenir.
En Tunisie, le secteur du private equity date de la fin des années 80, avec l’adoption d’une loi définissant son cadre juridique. Cette loi a été amendée à plusieurs reprises, parce que le contenu ne répondait pas au contexte du private equity. L’année 1995 a été marquée par la création des Sicars qui ont été, pendant 10 ans, les seules entités opérationnelles sur le marché tunisien. Celles-ci ont essayé de soutenir l’économie tunisienne et de répondre aux besoins de financement des PME tunisiennes.
En 2005, une nouvelle loi a été adoptée pour permettre l’exercice du private equity dans sa forme la plus élaborée. Et ce, conformément à ce qui a été adopté en cette période par les pays voisins et les pays du nord de la Méditerranée. « La véritable avancée précise a été la création des FCPE (fonds communs de placement d’entreprise), qui sont aujourd’hui la nouvelle forme la plus répandue d’exercice du private equity en Tunisie », a souligné Héla Fourati.
Mais le secteur du private equity demeure relativement jeune en Tunisie. « Même si la loi a été promulguée à la fin des années 80, le private equity n’a été réellement exercé qu’à partir de 2005. A partir de là, des équipes de gestion ont été formées pour essayer d’être dans les meilleurs standards internationaux d’exercice de la profession, de la gouvernance et de la transparence par rapport aux investisseurs », a-t-elle précisé.
Et d’ajouter: « Le secteur, à mon avis, est extrêmement porteur. Il s’est vraiment développé durant cette dernière décennie où on a constaté que les levées de fonds étaient en progression constante. Et que les économies des pays du sud de la Méditerranée (Tunisie, Maroc, Algérie et Egypte) offraient des potentiels de croissance très importants.
Pour cette raison, les investisseurs sont aujourd’hui très intéressés par l’investissement dans ces pays. Mais on a constaté que les pays du Nord ont freiné un peu l’exercice du private equity à cause de la fiscalité. Du coup, ils ont opté pour des investissements dans des fonds établis dans les pays du Sud ».
Le private equity, un secteur qui évolue, mais…
Le secteur du private equity reste encore, selon Mme Fourati, un secteur timide en Tunisie. Il ne remplit pas pleinement sa fonction de soutien à l’économie tunisienne; et ce, pour plusieurs raisons. « D’abord, bien que le législateur ait essayé d’adapter le cadre règlementaire du private equity en Tunisie et d’opter pour un cadre fiscal très incitatif, cela reste encore insuffisant et rigide. Il y a eu une évolution claire et nette et le potentiel est énorme, mais il reste encore limité. Mais je reste convaincue que ces limitations peuvent être absolument levées pour que le private equity joue pleinement son rôle, qui est le soutien des PME et de l’économie tunisienne. Sachant qu’en Tunisie, nous avons trois formes de financement: les crédits classiques auprès des banques, l’introduction en Bourse qui ne s’adresse pas aujourd’hui aux TPE, et le private equity », a indiqué Héla Fourati.
Et de poursuivre: « Le private equity est un secteur en évolution et en perpétuel mouvement et mutation. Mais il mérite qu’on lui accorde l’importance qu’il faut comme moteur essentiel de l’économie tunisienne ».
Que faire?
La directrice générale du TAEF a recommandé de tirer profit des expériences de nos voisins; notamment au niveau des mécanismes mis en place pour dynamiser le secteur. A savoir les mécanismes de diversification et d’amplification de la palette des instruments financiers. Soit: des top options qui permettent d’aligner les intérêts des investisseurs, des managers et de la société type; un LBO (Leveraged buy-out : rachat avec effet de levier) qui est fondamental et qui doit être aujourd’hui libéralisé; des fonds de retournement avec facilitation de leur applicabilité; la fin des restrictions en matière de participation (minoritaire, majoritaire…); un marché dynamique de cession et de reprise avec des avantages; et une ouverture du marché alternatif aux TPE ainsi qu’une mise en place des structures de repreneurs… C’est tout un écosystème qui doit être enrichi.
Des réalisations jalonnées de succès
Héla Fourati a tenu à rappeler que le président de la maison mère, dans son processus de sélection d’une compétence qui prendra les commandes du TAEF Tunisie en 2013, a décidé de ne choisir que des femmes. Il a été convaincu que toutes les organisations et institutions internationales dirigées par des femmes ont fait preuve de réussite en termes de leadership et de réalisations. En effet, la première réalisation de Mme Fourati à la tête du TAEF Tunisie, a été de mettre en place une équipe solide, qui évolue d’une année à l’autre. Elle est composée en majorité de femmes, soit huit femmes sur un total de 13 personnes opérationnelles. S’ajoutent à elles, la responsable-comptable, l’avocate interne, la PR Communication. Par ailleurs, la seule personne qui opère aux USA pour la coordination avec le Congrès américain est aussi une femme. « Il faut savoir que le private equity est basé tout d’abord sur le talent humain. C’est le premier investissement que j’ai fait et je continue », a-t-elle souligné.
L’horizon ne s’arrête pas là: « L’autre grand succès consiste en la mise en place de mécanismes d’investissement très innovants et inclusifs, tout en intervenant au niveau des jeunes, des femmes et des régions. Autre réalisation importante: faire en sorte de ne pas être une institution financière seulement; mais aussi impacter l’écosystème d’une manière ou d’une autre, avec une responsabilité sociale ».
Perspectives d’avenir
Le TAEF travaille sur le court, le moyen et le long terme. « Nous avons investi 97% des 100 millions de dollars qui nous ont été alloués par les USA. Nous souhaitons pouvoir continuer à investir, parce que notre timeline d’investissement, c’est 2028. Donc, nous pouvons investir ce qui nous reste, avec, bien sûr, un retour sur les investissements faits. L’idée est de continuer à investir », a affirmé Mme Fourati. Et d’ajouter : « On veut assurer la pérennité de notre institution, c’est-à-dire capitaliser sur tout ce qu’on a créé pendant toutes ces années et essayer d’en faire un véhicule d’investissement pour toujours. Et ce, en se basant sur le branding, l’équipe et les plateformes d’investissements en Tunisie pour attirer les investisseurs nationaux et internationaux ».
Au final, Héla Fourati a affirmé qu’à terme, elle continuera probablement à œuvrer dans le social et même l’environnemental, pour investir et soutenir tout l’écosystème du private equity.