Le principal défi de transformation auquel nous aurons à faire face sera de construire une nation réellement souveraine permettant de lutter contre des forces qui déjà, veulent nous imposer des choix, qui n’ont aucun sens du bien commun, du citoyen et des intérêts de notre pays.
Il suffit de regarder notre agriculture où nous avons remplacé notre blé tunisien par des semences étrangères alors que notre blé est plus résistant à la chaleur, consomme deux fois moins d’eau et contient cinq fois plus de protéines. Toutes nos semences locales ont été retirées progressivement de la liste des semences autorisées. L’un de nos grands ingénieurs agronomes a dénoncé cette pratique et a voulu créer une banque dédiée à la sauvegarde de nos semences locales historiques : pression des semenciers et…. Dix ans de prison pour ce héros de la Nation, sous prétexte de terrorisme. Heureusement, cette banque a pu voir le jour depuis.
Les discussions en cours sur la STEG (électricité et gaz), la SONEDE (l’eau), TUNISAIR, l’agriculture, les logiciels de l’Etat qui n’utilisent déjà plus l’open source, la pression pour l’implantation généralisée des hypermarchés montrent que les loups sont déjà là. Plus de 30% des bâtiments et travaux de l’Etat tunisien sont aujourd’hui réalisés par des entreprises qui ne sont même pas sur le territoire (moins de 05% sous le régime de Ben Ali). Ces marchés accentuent l’exportation de devises et notre déficit extérieur pour une qualité qui n’est pas au RDV. Ces chantiers cumulent TOUS des retards et des malfaçons sans recours possible. Notre secteur du bâtiment (BTP) emploie 520 000 personnes et n’a aucune chance de se développer et de monter en compétence sans ces chantiers de l’Etat.
Les dangers du modèle « Supply and Demand »
L’oligarchie financière mondiale est en train d’imposer au monde et à la Tunisie le modèle dit « Supply and Demand ». Ce modèle est pertinent et efficace pour les grands groupes et les entreprises. (C’est le modèle que nous préconisons pour les télécom avec une filiale réseau télécom unique qui regroupe la production et l’exploitation des réseaux notamment pour la 5G aux coûts énormes : un seul réseau plusieurs opérateurs et un accès sans condition pour les startup et les centres de recherche). Appliqué aux services publics, ce modèle se révèle être l’une des plus grandes escroqueries du monde moderne dénoncée par l’essentiel des prix Nobel d’économie récents.
Personne ne vous annoncera que la STEG va être privatisée, ni la SONEDE, ni la SNCFT. L’oligarchie va nous imposer des changements de « business model » sous couvert de libéralisme par une stratégie dite de « petits pas ». On commence par privatiser les services pour le voisin, le quartier, le village puis on signe des accords internationaux pour la Nation.
Le principe du S&D est le suivant : vous avez une entreprise qui a une usine fabriquant des meubles pour les particuliers et des meubles pour les professionnels. Les meubles sont vendus grâce à deux entités commerciales séparées. Le modèle S&D considère qu’il y a trois entreprises internes qui se facturent leurs services (je ne compte pas la direction générale pour simplifier). Ainsi le service qui ne vend que des meubles pour les particuliers ne paye que pour le coût réel de production de ses produits pour les particuliers, idem pour l’entité commerciale pour les meubles professionnels. Ici le modèle isole donc les coûts réels de production par produit. Cela permet de détailler la rentabilité.
Soyons concrets pour la STEG. Il y a d’un côté des producteurs d’électricité, puis la partie transport électrique incluant les transformateurs, les convertisseurs etc. puis les consommateurs. Ce qui coûte le plus cher et le plus compliqué à maintenir est le transport sur des milliers de Km.
Le modèle en cours de mise en œuvre en Tunisie selon le mode S&D est le suivant : les producteurs vont pouvoir vendre directement l’électricité aux consommateurs. Celle-ci sera transportée par le réseau de la STEG. Les producteurs paieront donc à la STEG le coût du transport. Où est l’escroquerie me direz-vous ?
Une vision globale nationale
Les prix sont actuellement calculés selon une vision globale nationale c’est-à-dire que le consommateur de Sfax, Sousse ou Tunis paie plus que le coût réel du transport de sa consommation. Notre solidarité nationale issue de notre indépendance fait que nous acceptons tous de payer un prix plus élevé pour que chaque citoyen puisse avoir de l’électricité. C’est pareil pour l’eau, le gaz, ou les transports. Cela s’appelle l’obligation de service public sur les prix.
Ceci a permis de connecter nos villages de montage ou de nos régions les plus reculées à tous nos services publics. Et c’est grâce à cela que la Tunisie est un modèle pour tous les pays en voie de développement dans le monde.
Sauf que demain si nous ne réagissons pas et que nous appliquons le modèle « Supply and Demand »:
- Les producteurs / vendeurs d’électricité n’investiront que dans les zones à forte rentabilité comme les grandes villes et les zones industrielles. Les zones les plus rentables seront accaparées
- Les producteurs / vendeurs n’accepterons jamais de payer des coûts partagés au niveau national. Ils ne voudront payer que pour des coûts réels du transport c’est-à-dire au Watt transporté par Km. (Comme actuellement en Europe)
- Les zones les plus rentables ne participeront plus au financement national du réseau
Si nous acceptons ce modèle, les zones à faible rentabilité ne pourront plus être financées, il faudra soit effectuer des hausses massives du prix de l’électricité dans les régions soit que l’Etat paye la maintenance du réseau pour ces régions. La gestion de l’électricité nationale devient donc déficitaire à vie pour l’Etat et hyper rentable pour les multinationales privées étrangères.
L’ALECA : les dessous des cartes
Le modèle S&D est décrit dans les accords de l’ALECA, allez directement à l’article 20 « CONCURRENCE ET AUTRES DISPOSITIONS ÉCONOMIQUES ». Cet article exceptionnel vous explique que TOUTES LES ENTREPRISES AYANT UNE ACTIVITE COMMERCIALE SERONT SOUMISES A LA CONCURRENCE TOTALE. Y COMPRIS LES ENTREPRISES PUBLIQUES COMMERCIALES (c’est-à-dire celles qui vendent ou achètent quelque chose comme : le phosphate, l’électricité, les services de transport (SNCFT), l’eau, le gaz, le pétrole, le bois, les minerais (voir tableau des ressources de l’accord). De plus avec cet article, il nous sera alors interdit de fausser la « concurrence » en donnant des aides de l’Etat à ces entreprises publiques. C’est-à-dire que dès la signature, plus aucun plan de redressement de ces entreprises dites commerciales ne sera possible. C’est écrit noir sur blanc ! Bien sûr le modèle est aussi dans les documents de la GIZ, l’AFD ou du FMI ! Les autres articles expliquent qu’il nous sera interdit de refuser l’accès à nos infrastructures de transport de l’énergie à une entreprise de l’UE, cela concerne donc le réseau de la STEG et nos pipelines.
Le bouquet final : la régulation des prix par une obligation de service public NE CONCERNE PAS LES MARCHES EN GROS DE l’ELECTRICITÉ ET DU GAZ.
Tous les pays de l’union Européenne ont mis en place ou sont en train de basculer dans ce modèle. Avec Black Rock aux commandes : qui pense encore que ce modèle ne nous sera pas imposé ? La nation idéale pour ces instances est décrite dans de nombreux ouvrages : l’Etat gère uniquement les services régaliens, prend en charge tous les coûts d’infrastructures pendant que tous les services rentables deviennent privatisés (voir en France : la réforme de la retraite des cadres, la vente absurde de ADP, Alstom, les barrages électriques, les autoroutes, le fiasco sur l’électricité et le gaz)
En résumé les nations payent les coûts d’exploitions déficitaires à vie et les multinationales engrangent les bénéfices records sur la vente de services devenus hyper rentables. La ville de Paris est l’une des plus riches du monde, tous les services municipaux sont privatisés ou sont en cours de privatisation y compris les amendes de stationnement. Résultat: la mairie de Paris a 6 Milliards d’euros de dettes alors que les prestataires font des bénéfices records !
Protéger tous le secteurs stratégiques
Pour finir avec la STEG : il est évident qu’il faut libéraliser notre économie ou l’énergie et notre modèle en fait une priorité. Que tous ceux qui veulent produire le fassent et nous proposons un soutien massif de l’Etat, nous permettant d’atteindre d’ici 2030 l’autosuffisance énergétique. Toutefois, les producteurs vendent à la STEG qui gardera le monopole de la revente pour garantir la solidarité et la cohésion nationale. Nous libéralisons l’économie, nous soutenons l’investissement; mais nous protégeons tous les secteurs stratégiques de la Nation qui fonctionnent grâce la solidarité nationale.
Notre Nation s’est construite sur des valeurs fortes de notre identité : la solidarité, la cohésion sociale, le partage, la famille, nos traditions, les petits commerces, les petits producteurs, les petits métiers. Toutes ces particularités ont construit une nation résiliente qui a survécu à tout dans notre histoire même à la COVID ou aux islamistes. Nous sommes aujourd’hui face à des choix qui peuvent, en moins de 10 ans, détruire tous ces acquis. La Tunisie est à la croisée des chemins, nous sommes au centre d’une guerre entre l’humain et le bien commun d’un côté, la finance et la soumission aux puissants de l’autre.
Notre seul vrai défi stratégique est de construire un Etat capable de moderniser le pays. Tout en faisant barrière à ce monde néolibéral destructeur et à toutes ses dérives.
Se détourner de l’approche financière néolibérale
La situation critique d’aujourd’hui est l’une des meilleures opportunités pour enfin retrouver la voie de la sagesse, en oubliant l’approche financière néolibérale utilisée comme prétexte pour la sauvegarde des intérêts d’une oligarchie locale et internationale qui a depuis longtemps oublié les intérêts de la Nation et de ses citoyens.
L’approche IntilaQ 2050 propose un nouveau modèle de développement pour notre pays qui :
- Replace l’énergie et l’exploitation des ressources comme moteur principal de notre croissance à la place des politiques monétaires, du crédit, de l’impôt de masse ou de la planche à billets, les seuls leviers utilisés depuis la révolution de 2011.
- Fait barrière aux dérives du système néolibéral qui détruit les nations et s’accapare les richesses
« INTILAQ 2050 » pour une Tunisie souveraine, résiliente, conquérante, qui retrouve sa place de carrefour des civilisations, en replaçant l’humain au centre de toutes ses préoccupations.
Pour en savoir plus www.intilaq2050.org
Adlen Kamoun
Directeur en Stratégie et Membre Fondateur IntilaQ 2050