La question ne peut que trotter dans la tête de beaucoup d’entre nous. Les Américains et d’autres pays ou structures pouvaient-ils interférer de la même manière avant 2011? La question mérite d’autant plus d’être posée lorsqu’on sait le tact et même le silence observés lorsque de nombreux partenaires de la Tunisie prenaient contact avec ses dirigeants.
Faut-il voir quelque part dans la visite d’une délégation de hauts responsables américains, le 13 août 2021, qui continue à susciter des réactions et qui a transmis un message écrit du président américain, Joe Biden, pour le président, Kaïs Saïed, une forme quelconque d’ingérence? La réponse est non et oui.
D’abord c’est un non dans la mesure où il est d’usage qu’un acteur important de la scène internationale, qui a un intérêt dans la région, à fortiori lorsqu’il s’agit d’une grande puissance, vienne s’enquérir de l’évolution d’un pays qui compte dans la géopolitique méditerranéenne.
Il ne s’agit pas du reste de la première action de ce type. Avant cela, souvenez-vous, le président français Emanuel Macron a téléphoné, le 7 août 2021, afin de savoir de ce qu’il en est. Et ce, après les mesures prises par le président de la République, le 25 juillet 2021.
L’occasion également de signifier à Kaïs Saïed le vœu ardent de ne pas interrompre le processus démocratique engagé en 2011. Même s’il y a une exigence de corriger le tir d’une révolution qui n’a pas été au niveau des attentes de la population. Ce qui explique sans doute du reste que les réactions qui ont suivi les mesures du 25 juillet 2021 n’ont pas été, selon nombre d’observateurs, assez tempérées.
Tact et silence
Cela a existé de tout temps. Et ceux qui ont trouvé matière à ingérence dans la visite américaine n’ont pas totalement raison. Aussi bien sous le règne de Bourguiba que de Ben Ali, les Américains, comme d’autres pays, sont venus pour des raisons similaires. Chaque fois qu’ils estimaient de leur devoir et intérêts de prendre contact avec les autorités tunisiennes.
Oui, il y a ingérence cependant lorsqu’on analyse de plus près la visite de la délégation américaine qui a été représentée par deux structures de l’establishment. A savoir, d’un côté le Département d’Etat (le ministère américain des Affaires étrangères); et de l’autre, le Conseil National de Sécurité (« une organisation dépendant directement du président des États-Unis et qui a un rôle de conseil, de coordination et parfois d’impulsion sur les sujets de politique étrangère et de sécurité nationale »).
Et cela donne peut-être à cette visite l’importance qu’a voulu donner le président Biden à la visite. Et aux recommandations faites au chef de l’Etat concernant l’évolution que les Etats-Unis d’Amérique souhaitent que la Tunisie épouse.
Il est à se demander si en d’autres temps les Etats-Unis auraient entrepris cette visite avec une délégation de ce type et fait la même publicité la concernant? La question mérite d’autant plus d’être posée lorsqu’on sait le tact et même le silence observés lorsque de nombreux partenaires de la Tunisie prenaient par le passé contact avec ses dirigeants.
Beaucoup de nos partenaires savaient à quoi s’en tenir: la Tunisie réagissait souvent rapidement d’une manière ou d’une autre. Soit par un communiqué du ministère des Affaires étrangères; soit par une convocation de l’ambassadeur de la partie concernée; ou par une autre voie comme la publication d’un article « commandé ».
Durs à cuir
Il est à se demander, dans le même ordre d’idées, si les Etats-Unis d’Amérique, un autre pays et même structure auraient agi de la même manière avec d’autres pays. A commencer par certains de nos voisins qu’ils savent durs à cuire.
La même question est à évoquer concernant le rapport de l’agence de notation Moody’s, du 2 août 2021. Elle y indique que « l’absence d’une Cour constitutionnelle est de nature à prolonger la crise politique que traverse actuellement la Tunisie. Ce qui pourrait ralentir davantage la mise en œuvre des réformes économiques et par conséquent les négociations avec le Fonds Monétaire International (FMI) ».
Certes, tout ce qui est de nature à perturber la bonne marche économique d’un pays pourrait être souligné. Mais cette agence de notation aurait-elle interféré de la sorte dans d’autres temps et avec d’autres pays? On pourrait dire: « De quoi je me mêle ? »
On se souvient aussi que le Fonds Monétaire International (FMI) a, creusé pratiquement le même sillon lorsque son Directeur Général du Moyen-Orient et de l’Asie centrale, Jihad Azour, appelait, le 9 février 2021, « au lancement d’un dialogue national dans l’objectif de relancer l’économie tunisienne ».
A se demander si ces faits et gestes ne sont pas une conséquence d’un sentiment encore partagé quant à la déliquescence de l’Etat?