Le péché originel, ce fut avec la création, dans la précipitation et sur injonction de certaines chancelleries étrangères, de l’Instance nationale de réforme de l’information et de la communication (INRIC).
Dans l’euphorie du renversement du régime et la crainte obsessionnelle de voir la dictature revenir, le diagnostic de la scène médiatique était expéditif. Celle-ci souffrait de beaucoup de ratages et d’incorrections.
La nouvelle démocratie tunisienne s’offrait ainsi deux petits instruments pour organiser le dispositif de la nouvelle démocratie médiatique. Soit deux petits décrets, généralistes, pour réguler le nouveau paysage médiatique tunisien. Une décennie après, c’est le désenchantement démocratique et médiatique.
En effet, la pratique de la profession devient ouverte à tous jusqu’à écraser le journaliste lui-même. Et consacrer la prééminence des chroniqueurs, des animateurs, des créateurs d’événements, des propagandistes, des marketeurs et des publicitaires.
Méconnaissance totale des réalités médiatiques
Les potions magiques de la réforme des médias tunisiens se font extra-muros. Sous la houlette de l’Union européenne, à travers le programme d’appui aux médias tunisiens.
Elle se conçoit sans prise avec le réel médiatique tunisien, sans coordination avec les pouvoirs. Et surtout sans obligation de résultat par rapport aux programmes préconisés. On peut l’affirmer sans grand risque de se tromper: experts, acteurs, ordonnateurs ont lamentablement échoué à jeter les bases d’une véritable démocratie médiatique tunisienne. Et ce, dix ans après la supposée disparition de la dictature médiatique.
En effet, les concepteurs de la réforme et de la régulation des médias tunisiens sont tous des experts dépêchés par leurs gouvernements pour accomplir la tâche. Leur problème, c’est leur méconnaissance totale et manifeste des réalités tunisiennes et en l’occurrence les réalités médiatiques.
« Les concepteurs de la réforme et de la régulation des médias tunisiens sont tous des experts dépêchés par leurs gouvernements pour accomplir la tâche »
MBC-Action nous a promis une télévision tunisienne selon le modèle de la BBC, mais rien n’y fit. L’organisation suisse Hirondelle nous a promis la même chose pour les radios publiques. Rien n’y fit encore. L’agence Ansa n’a rien fait pour l’agence TAP qui demeure, comme avant la révolution, une simple caisse de résonance; et de surcroît orpheline de la régulation. Les agences françaises– CFI et France Média Monde– liées au ministère des Affaires étrangères et à celui de la communication, n’apportent que de la littérature professionnelle. Encore que l’unilinguisme arabe des journalistes tunisiens est devenu un sérieux handicap pour l’assimilation.
Alors que l’organisation « Article 19 » promet d’entraîner la presse écrite tunisienne dans le sillage de l’éthique journalistique et de l’auto-régulation. La crise sanitaire risque d’emporter les rares titres qui n’ont pas encore disparu comme beaucoup d’autres.
Les Allemands qui s’occupent d’améliorer la communication publique et gouvernementale via leur Deutschwelle doivent certainement avoir constaté les dégâts de ce type de communication. Et ce, à travers les pratiques désastreuses de nos gouvernants en charge des trois présidences, des départements ministériels et des services publics. En somme, l’esprit du terroir est terriblement absent. Ce qui a réduit le programme d’appui des médias tunisiens de l’Union européenne à un simple fournisseur de matériel, de subventions, de gratifications et de réjouissances.
D’ailleurs, les réclamations adressées récemment par les chambres syndicales tunisiennes à la Délégation européenne au sujet du fonctionnement de son programme d’appui aux médias tunisiens traduisent un certain malaise dans la gestion de la réforme des médias tunisiens.
Réorienter le cours de la réforme des médias
Aujourd’hui, il est urgent de se rattraper et de réorienter le cours de la réforme des médias tunisiens en prescrivant les actions suivantes.
- Tout d’abord, impliquer pleinement l’Etat, tenu et maintenu à l’écart, en tant qu’acteur qui a son poids dans la participation à la gouvernance de la scène médiatique et communicationnelle. L’Etat co-régulateur est à inventer. Il doit plus que jamais entrer en lice et figurer en bonne place dans l’échiquier de la gouvernance médiatique, consentie et partagée.
- Sur cette base, il faudrait renégocier les termes de l’accord avec l’Union européenne pour ce qui est de l’appui aux médias tunisiens. Les partenaires de ce programme– tous étrangers– doivent se mettre à l’écoute des attentes des pouvoirs publics et pas seulement avec les chambres syndicales.
- Puis, sauver les médias publics de la dérive et de déliquescence annoncée. La HAICA y a laissé les choses se pourrir et s’est contentée de la position d’un spectateur, passif et incompétent.
- Ensuite, instruire et criminaliser le népotisme et la corruption qui contribuent largement à la décrédibilisation du système médiatique tunisien.
- Instituer alors des règles rigoureuses de transparence médiatique et communicationnelle: propriété des médias, leur financement; recettes et services publicitaires; système des salaires et des rémunérations; système de vente et d’échange de services; position par rapport aux diverses dispositions fiscales en vigueur…
- Mais aussi réguler le secteur de la publicité, des mesures d’audience et sondage d’opinions, des agences de création événementielle; des agences de production de contenus numériques et audiovisuels…
- Et encore renforcer les services de communication gouvernementale et de communication des services publics.
C’est à ce prix que les médias, publics et privés, se mettront au service de la nouvelle démocratie tunisienne.