Nous sommes en plein flou artistique. A part l’annonce par la présidence de la République du prolongement sine die de l’État d’exception en Tunisie, les Tunisiens n’ont rien à se mettre sous la dent. Sauf la promesse d’un discours de Kaïs Saïed « dans les prochains jours ». Espérons qu’il se hissera au niveau de nos attentes. Elles sont immenses!
A défaut d’un service de com efficace et professionnel, Carthage en est dépourvu, et d’une diplomatie active notamment dans les chancelleries occidentales, le message présidentiel a du mal à passer en Tunisie et dans le monde, de crainte, oh combien légitime, d’une possible dérive autoritaire de Kaïs Saïed.
Tous les leviers du pouvoir en une seule main
En effet, il y a un mois jour pour jour, le président de la République, Kaïs Saïed, avait invoqué un « péril imminent » pour la sécurité nationale, afin de prendre des mesures exceptionnelles. Lesquelles comprennent notamment: le gel des travaux du Parlement pour une durée de 30 jours; la levée d’immunité des députés; et la mise à l’écart du chef du gouvernement de l’époque Hichem Mechichi. Ainsi que la mainmise effective sur le pouvoir exécutif et judiciaire.
En un magique coup de main, le Président a donc réussi l’impensable: réunir entre ses mains tous les leviers du pouvoir sans coup férir. Laissant ses adversaires, notamment ceux d’Ennahdha et consorts totalement groggy.
Un coup de maître ayant bénéficié d’une liesse populaire sans précédent aux quatre coins de la Tunisie. Mais qui a éveillé dans certaines capitales européennes la peur diffuse d’un « coup d’Etat constitutionnel » qui risque de perdurer.
Statu quo
Or, durant les 30 jours avant la date butoir du 25 août, ce fut le statu quo.
En dehors de trois portefeuilles névralgiques que sont la Santé, les Finances, l’Intérieur et le chambardement total des cadres sécuritaires au sein du département stratégique de l’Avenue Habib Bourguiba
A part quelques arrestations spectaculaires. Et des mises en résidence surveillée de certains politiciens qui portent des casseroles de corruption ou de quelques hommes d’affaires véreux. Aucun Premier ministre n’a été désigné. Bien qu’à plusieurs reprises, on parlait de l’imminence de cette nomination.
Ainsi, le gouvernement marche à trois pattes, avec six ministres au four et au moulin, dont la majorité par intérim.
Le Messie attendu
C’est dans cet épais brouillard que la présidence de la République annonçait, mardi 24 août dans un bref communiqué laconique, le prolongement sine die de l’État d’exception en Tunisie. Ajoutant que le chef de l’État « fera une déclaration au peuple tunisien dans les prochains jours ». Le bon peuple tunisien attend toujours que l’on se prononce sur son sort!
Réactions mitigées
En réaction au communiqué présidentiel, le porte-parole de la centrale syndicale, Sami Tahri, exprimait une certaine bienveillance à la question de la prolongation des mesures exceptionnelles « attendues ». Cependant, il insistait sur la nécessité de mettre fin à la période exceptionnelle. Car « elle a de graves conséquences sur la situation générale ».
« Le vide ne conduit qu’à un déséquilibre dans le travail des institutions de l’Etat et de l’administration. Par conséquent, l’UGTT est favorable à la présentation d’une feuille de route ». Ainsi soulignait hier mercredi le syndicaliste, dans une déclaration au quotidien arabophone Al-Maghreb.
Même son de cloche de la part du député indépendant gelé Mabrouk Korchid. Lequel exprimait sa « préoccupation » face à la situation politique actuelle. Tout en reprochant au président de la République le « manque de clarté » en rapport avec la prochaine étape.
« La décision de prolonger les mesures qui ont été prises le 25 juillet 2021 jusqu’à nouvel ordre, est la preuve que le Chef de l’Etat ne compte pas faire revenir la démocratie parlementaire ». C’est ce qu’il déclarait hier mercredi, sur les colonnes de notre confrère Tunisie numérique. Appelant à l’occasion le Président « à éclairer l’opinion publique sur son programme pour la prochaine étape ». Dans l’espoir que le prochain discours présidentiel sera « à la hauteur des attentes des Tunisiens ».
Alors, Kaïs Saïed ira-t-il au bout de sa vision, notamment la refondation d’un système politique hybride rejeté par la majorité des Tunisiens? Croisons les doigts pour que le prochain discours présidentiel ne soit pas que « du vent qu’on vend aux bateaux »; comme dirait le délicieux dicton tunisien.