La plupart des partis politiques et la plupart des Think tanks en Tunisie n’ont jamais rien écrit de véritablement concret sur leur vision pour la Tunisie. Cet état de fait a une explication que vous trouverez dans notre article « Les trois problématiques de notre système politique ». Ainsi, le système en place n’a pas besoin de vision pour survivre, il se suffit à lui-même.
Il existe malgré tout, quelques publications, déclarations, discours politiques qui donnent des orientations. Les dérives du système néolibéral se retrouvent dans l’essentiel de ces orientations.
Ces dérives néolibérales destructrices des nations peuvent être résumées dans le message suivant: l’Etat doit se concentrer sur les fonctions régaliennes (la sécurité, les finances, les affaires étrangères, le social, la justice, l’éducation etc.). Et l’économie doit être gérée par le « marché » ou par le privé si vous préférez!
On nous cite en exemple, les USA, la France ou l’Allemagne qui ne s’occuperaient pas d’intervenir dans une économie respectueuse des théories de Milton Friedman – grand gourou du néolibéralisme mondial mis en place de façon exponentielle depuis les années 70.
Nous n’allons pas insister, mais ce message est évidemment porté aussi par les instances internationales qui interviennent en Tunisie.
Ces discours nous expliquent que ce sont les start-up, l’initiative privée, les PME, nos compétences, notre volonté de citoyen, qui vont développer le pays et donner du travail pour tous dans le meilleur des mondes.
Nous dénonçons bien-sur ces théories idéologiques totalement absurdes, qui ne sont appliquées dans aucun des pays développés. Sans les grands travaux et le soutien direct de l’État Français, y aurait-il eu : Airbus, Safran, Eurocopter, Dassault, Thales, Areva, Alstom, Renault, Peugeot, Citroën, Alcatel, Capgemini, Total, Orange, ENEDIS, ENGIE et des centaines d’autres? De même le TGV, le nucléaire, l’agriculture, l’électronique, l’avion, l’automobile, la banque, l’assurance, la recherche, les grandes écoles, l’artisanat, le tourisme, l’Énergie.
La France a produit un art de vivre, une culture et des leaders mondiaux qui ont façonné le monde d’aujourd’hui. Et sans l’action d’un état stratège, entrepreneur et investisseur aucune de ces entreprises ou secteurs de pointe n’aurait existé aujourd’hui.
Même la Silicone-Valley est une création de l’armée américaine et donc de l’État US. Idem pour Hollywood ou Las Vegas entièrement financés par l’État américain.
Pour modifier son image désastreuse après la deuxième guerre mondiale, le Japon a investi 4 Milliards de dollars durant les années 50 dans les Mangas et les dessins animés futuristes. Lui donnant ainsi, et dans le monde entier, une image de modernité dans les technologies, les sciences, la robotique et l’électronique. Cette image est toujours présente dans l’inconscient collectif culturel mondial.
Les start-up, les PME/PMI, l’action privée des entreprises intermédiaires, ne sont que les chevilles ouvrières, certes indispensables d’une action stratège et orientée de l’état. Il en va de même pour les boulangeries, les restaurants, les plombiers, les maçons et tous ces beaux métiers qui en sont totalement dépendants.
C’est parce que l’État Français a construit des ports et investi dans le littoral que le secteur nautique s’est développé et génère aujourd’hui 5,08 milliards d’euros par an et compte 42930 salariés (chiffres de 2019). Ce secteur attire à lui seul les touristes les plus fortunés de la planète comme à Nice, Cannes, ou ST Tropez. Des yachts sur la « Cote d’Azur » se louent jusqu’à 300 000 euros la semaine.
C’est parce que l’État français a entretenu et investi dans ses parcs, ses forêts, ses musées, ses monuments que la France est le leader mondial du tourisme.
C’est parce que l’État Français a investi dans la terre, les pesticides, les semences, l’eau, le matériel agricole, la recherche, les grandes coopératives, la formation, les territoires que la France est le cinquième producteur agricole du monde.
C’est parce que l’État a investi dans ses montagnes, ses infrastructures, la recherche, la formation, le sport que la France est l’un des leaders dans la pratique du ski et les stations de haute montagne (je vous laisse comparer avec notre désert).
Nous pourrions ainsi passer en revue tous les secteurs du PIB de la France et les lier à une décision stratégique de l’État Français.
Évidemment, nous retrouvons la même chose pour l’Allemagne, les USA, le Japon; la Corée qui n’existerait pas sans les 500 Milliards de dollars d’investissements de l’État depuis 20 ans.
Pour finir d’enterrer ce fantasme d’une économie qui doit être libérée de l’influence de l’État, il suffit simplement de réfléchir à trois exemples forts :
- La crise financière des sub-primes en 2007: qu’ont fait tous les grands partisans du néolibéralisme le plus extrême lors de la crise financière des sub-primes en 2007? Ils se sont retournés vers l’État qui, au niveau mondial, a dû injecter plus de 10 000 Milliards de dollars pour sauver les banques et les économies liées. (1600 Milliards rien qu’au Japon censé être une économie entièrement libéralisée, idem aux USA).
- Le changement climatique: qui finance à travers des primes, allégement d’impôts, subventions, les niches fiscales, le transfert de brevets publics, les crédits à taux zéro et les grandes transformations écologiques et énergétiques? Les États!
- La COVID: qui a financé les vaccins? Les États. Il suffit de regarder en Tunisie. Les acteurs de la vie politique, qui depuis 2011 nous expliquent que l’État ne doit pas s’occuper d’économie, sont aujourd’hui les premiers à demander que l’État en fasse plus dans son soutien à l’économie sinistrée par la crise sanitaire.
Non, nous ne prônons pas un retour au communisme, rassurez-vous! Nous nous battons comme décrit dans nos articles précédents pour:
- La sauvegarde des entreprises publiques stratégiques;
- La restructuration, la valorisation et la revente des entreprises publiques non stratégiques;
- La fin des monopoles et de l’économie de rentes;
- La libéralisation de l’économie.
Mais cette économie libérée n’a aucune chance de se développer sans l’action d’un État stratège comme nous l’avons démontré pour le nautisme ou les stations de ski en France.
Pour Intilaq 2050, l’économie nationale ne peut se développer et se moderniser que par la création d’écosystèmes de valeur qui fonctionne grâce une hiérarchie très précise des interactions et des dépendances. Cette hiérarchie et ces dépendances permettent de faire « Ruisseler la valeur » portée par les décisions stratégiques de l’État.
Ruissellement de la valeur sur les agents socioéconomiques
ATTENTION, il existe deux notions de ruissèlement de la valeur.
Avec l’arrivée des nouvelles technologies et la mondialisation dans les années 2000, le nombre de millionnaires et milliardaires a fortement augmenté dans les pays occidentaux. Les lobbies ont fait pression sur les gouvernements pour que cette nouvelle classe de personnes « hyper » riches ait une imposition la plus faible possible. Afin de justifier auprès de l’opinion ces baisses d’impôts, les politiques ont « inventé » la notion de « Ruissellement de la richesse ». Car, il ne faut pas que les riches quittent le pays à cause des impôts puisqu’ils font « ruisseler » leur richesse sur les classes populaires.
Joe Biden est le premier président des États Unis à avoir dénoncé ce concept, indiquant que toutes les études démontraient que ce n’était que du marketing et que mathématiquement rien ne justifiait les baisses considérables d’impôts pour les plus riches. Le concept de Ruissellement de la richesse est aujourd’hui dénoncé partout comme en France ou en Angleterre.
Cependant, le « ruissellement » décrit dans notre approche est totalement différent. Il concerne le « ruissellement » de l’activité économique à travers la hiérarchie des interactions et des dépendances entre les entreprises (et non des personnes physiques).
Ruissellement de la valeur à travers la hiérarchie et les dépendances dans nos écosystèmes de valeurs
Rappelons que le système productif proposé par notre plan de transformation est basé sur l’exploitation de nos ressources. Energie + Ressources + Travail = Production de biens de consommation (voir l’article sur le sujet).
Voici notre vision pour générer des écosystèmes de valeurs solides, modernes et surtout pérennes :
A- L’analyse de la cartographie et le cadre d’exploitation de nos ressources définissent la stratégie de l’État. On redessine nos « cartographies fonctionnelles nationales ». Nous proposons 12 cartographies dans notre plan de transformation.
B- La stratégie de l’État définit les grands chantiers de l’État (Village « santé et bien-être », village aventure, cité de la chimie, cité de l’aéronautique, campus, musées, smart city, coopératives agricoles, autoroutes, routes, aéroports, ports, télécom, parcs, forêts etc.).
C- Les grands chantiers de l’État associés à son rôle d’entrepreneur et d’investisseur génèrent de l’activité pour les grandes industries (Les Éléphants).
D- Les grandes industries génèrent de l’activité pour les industries de taille intermédiaire (Les Lions).
E- Les industries de taille intermédiaires génèrent de l’activité pour les PME /PMI et start-up (Les Gazelles).
F- La vie sociale générée par les activités C/D/E créé les lieux de vies où travaillent des artisans, professions libérales, indépendants, fonctionnaires etc. (boulangerie, restaurants, hôtels, plombiers, maçons, comptables, avocats etc. (Les Abeilles).
G- Les besoins de pilotage, de contrôle et les engagements de responsabilité de chacun imposent la mise en œuvre de dispositifs de gouvernance, de pilotage, de contrôle, de justice et d’arbitrage. Mais aussi de protection et de sécurité pour tout l’écosystème de valeur.
H- Les objectifs de cohésion nationale, de solidarité et de fraternité obligent à ce que les bénéfices de cette stratégie permettent la mise en place de dispositifs avancés de gestion sanitaire et sociale des populations, des dispositifs avancés d’inclusion et de partage.
Cette approche unique et nouvelle, structure TOUTE notre activité socioéconomique et oriente les politiques publiques.
Depuis 2014, tous les gouvernements appliquent une théorie inverse: pseudo investissement sur le développement des PME et petites entreprises locales. En espérant générer de l’activité qui financera l’État et les services publics.
Aucun grand chantier n’a vu le jour depuis 2011. Les taux
d’investissements ne dépassent pas les 20% et ne permettent même pas de maintenir les infrastructures actuelles. L’administration emploie plus de 800 000 personnes dont les salaires augmentent en moyenne de 8% chaque année et depuis 2011. 50% de notre territoire est vide et totalement inexploité.
La pertinence de notre approche se démontre, quant à elle, mathématiquement par le calcul de la masse monétaire disponible. « Sans les grands chantiers de l’État permettant de générer une activité pour les grandes et moyennes industries, il n’y a pas assez d’argent disponible dans l’économie ». Les banques se retrouvent comme actuellement dans l’impossibilité de donner les crédits nécessaires au financement des petites PME/PMI et de l’activité locale. Et l’État ne collecte plus assez d’argent pour financer les services publics et les infrastructures! Il n’y a pas assez de liquidité sur les marchés; la valeur du dinar s’effondre car nous ne créons pas de richesse et de valeur.
Nous devons pour chacune des « cartographies fonctionnelles nationales » définir cette pyramide de la valeur que nous appelons les « écosystèmes de valeurs » (car nous incluons la gouvernance locale, la vie locale et la vie sociale par opposition aux chaines de valeurs qui ne sont qu’économiques):
- Quelles sont les grandes industries pour porter ces grands projets (stratégie des Éléphants)?
- Quelles sont les industries intermédiaires à créer ou à soutenir (stratégie des Lions)?
- Quelles sont les PME/PMI et les start-up à soutenir (stratégie des Gazelles)?
- Quels impacts auront ces grands projets sur les développements des villes, villages et comment j’accompagne ces lieux de vie (Smart and Human City), (stratégie des Abeilles)?
- Quels impacts sur la gouvernance, la sécurité, le social, l’éducation etc…
Notre dure réalité comme preuve de la pertinence de notre approche
Une analyse rapide de notre réalité démontre qu’il est impossible de nous développer sans une redéfinition proactive et volontaire de de notre structure socio-économique:
- 96% de nos entreprises ont moins de six salariés actionnaires et gérants compris. Et pire 83% sont des microentreprises unipersonnelles. Ces entreprises sont essentiellement familiales et sous-capitalisées.
- 80% de l’emploi généré est peu qualifié et basé sur des secteurs à faible productivité.
- Notre tissu économique a des disparités régionales graves (90% de notre activité socio-économique est sur une bande du littoral de moins de 30 Km de large).
- Incapacité de l’État à épurer la situation foncière nationale dont plus de 2,3 millions d’hectares de terres bloquées (terres domaniales + terres collectives tribales + litiges).
- 10 000 hectares de perte de fertilité par an sur des terres cultivables due à l’incapacité à gérer l’érosion ou l’irrigation.
- 9 000 hectares par an de forêts, parcs, champs, exploitations qui brûlent dans les incendies dans l’indifférence absolue.
- 50% du territoire vide de toute activité y compris touristique, sportive ou de protection et sauvegarde de la nature.
- 60 à 70% de notre consommation a pour origine le commerce informel et 60% de nos bâtiments sont sans titre foncier et ne peuvent donc être capitalisés ou servir de garantie aux entrepreneurs.
- L’essentiel des secteurs à forte valeur ajoutée sont sous monopoles et figés par une économie de rente.
- 100 000 jeunes par an sortent du système éducatif sans la moindre qualification.
- 85% des jeunes de moins de 25 ans veulent quitter le territoire.
- Un système éducatif déconnecté de la réalité de nos besoins socioéconomiques et qui produit des diplômés inemployables. 40% sont au chômage.
- Un secteur de la recherche qui ne produit aucun brevet (80% de nos rares brevets tunisiens sont déposés par des Tunisiens résidents à l’étranger).
- Des coûts hallucinants pour des services de base qui génèrent des profits incroyables à destination d’un groupe restreint d’actionnaires (20% de marges pour les banques & assurances; plus de 30% pour les télécoms avec un service désastreux).
- Etc. Nous pourrions écrire 30 pages de plus…
Nous avons environ 800 000 entreprises, 90% de ces entreprises n’ont créé aucun emploi sur ces cinq dernières années et seulement 900 entreprises ont plus de 200 salariés.
Quelles que soient les promesses de la classe politique, des syndicats ou du gouvernement, il est totalement illusoire d’imaginer le moindre développement avec ce modèle. C’est mathématiquement impossible.
Au final, cette approche par les écosystèmes de valeurs s’inscrit dans notre modèle K6 qui oriente toute l’action de l’État et qui sera décrit dans notre prochain article.
Adlen Kamoun
Directeur en Stratégie et membre fondateur www.intilaq2050.org