Pendant le soulèvement du 14 janvier 2011, les slogans de la foule en colère ne traduisaient aucune consigne d’action propre à un groupe ou parti. Sans se revendiquer d’un quelque leader, la masse des manifestants ne fut ainsi ni anti-impérialiste, ni socialo-communiste, et encore moins islamiste. Elle était portée avant tout par des aspirations sociales de milliers de jeunes et de moins jeunes, réclamant haut et fort leur droit à une vie décente et à un emploi; mais aussi à une prise en main de leur propre destin. Mus par un sentiment d’humiliation sociale, leur longue frustration n’attendait plus qu’à être galvanisée par un événement imprévu.
L’euphorie ne pouvait cependant pas durer indéfiniment. Il fallait conférer à cette lutte une légitimité politique. Passer par cette période décisive pendant laquelle il devient urgent de traduire dans les faits les résolutions exprimées. Gérer la transition au-delà des opinions et des attentes des uns, des engagements pour participer à la vie civique ou des divergences politiques des autres. Bref, il fallait aboutir à un consensus quant au futur modèle de société à construire.
Or, le consensus restant introuvable, la transition n’a fait qu’attiser les tensions, élargir la fracture idéologique et diviser le pays. Chaque faction étant imbue de la légitimité de sa vision du monde pour la proposer, au nom de tous, comme modèle pour l’avenir de la Nation.
Restés en embuscade pendant toute la durée du soulèvement, les islamistes laissaient faire sans intervenir. Afin de ne choquer, ni l’Occident, dont la peur de la subversion islamiste aurait pu contrarier le mouvement, lui faisant perdre le soutien futur de la communauté internationale et la sympathie de la presse occidentale; ni les Tunisiens, car l’intrusion des islamistes dans l’espace politique séculier aurait dépouillé le mouvement protestataire de sa cohésion idéologique, celle qui a galvanisé toutes les énergies au-delà des clivages politiques et sociaux. Même si l’on admet que l’idéologie avance toujours cachée par la neutralité supposée de son langage.
C’est alors que les islamistes avec barbes et foulards, mobilisés par leurs leaders de retour d’exil, ont commencé d’occuper l’espace public et à gagner en visibilité politique. En élaborant un discours modéré, corroboré par les déclarations consolantes et apaisantes quant à l’attachement des dirigeants islamistes à la démocratie, au sacro-saint code du statut personnel et à la liberté. Dissipant ainsi, au grand soulagement des Tunisiens, toute inquiétude déplacée, tout parti-pris malvenu. Dans leur grande partie, le bien-être, la liberté et l’ouverture démocratique devenaient parfaitement compatibles avec les valeurs islamistes traditionnelles.
La démocratie à laquelle Ennahdha prétendait adhérer, n’était pas une fin en soi
En réalité, la matrice fondatrice du discours islamiste n’a jamais varié et la démocratie à laquelle Ennahdha prétendait adhérer, n’était pas une fin en soi. En cela, les islamistes ne faisaient qu’appliquer la devise du Turc Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre en campagne; avant de se convertir en sultan conquérant, furieux et sanguinaire. D’ailleurs, il avait déclaré en 1992 dans un style métaphorique cher aux fréristes, que « la démocratie est comme un tramway, il va jusqu’où vous voulez aller, et là vous descendez ». Autrement dit la démocratie ne serait qu’un moyen et l’élection l’instrument commode permettant à la cause des islamistes de triompher. Il n’avait pas tort et nous n’arrêtons pas de subir depuis la politique des soldats de la foi.
Dans le contexte du Printemps arabe, le terme de démocratie, bien que largement dilapidé au point de perdre toute portée significative, a été toujours un attribut des adversaires du régime de Zine al-Abidine Ben Ali, actifs ou résignés, indépendamment de leurs moyens d’action. Aussi, la définition du concept de démocrate et de forces démocratiques, sous le seul angle de l’opposition au pouvoir en place, a-t-il très vite perdu toute sa valeur par l’engagement général du pays dans un processus de transition démocratique. Et parce que partis, mouvements et acteurs de la scène politique, des islamistes jusqu’aux ex-RCDistes, se revendiquaient tous, certains sans l’ombre d’un doute, d’autres sans un brin de pudeur, des valeurs de la démocratie.
C’est donc dans ce sens que les idées démocratiques prédominèrent dans l’opinion publique désormais acquise à cette cause jusqu’à la banalité. Dès lors, l’engouement pour la démocratie actuelle dépend-il de son flou et de sa vacuité? A l’œuvre pendant dix ans, elle s’est avérée un signifiant vide auquel tout un chacun peut arrimer ses rêves, ses victoires et ses coups bas.
Le bilan est à la fois terrible et sordide
Jusqu’au 25 juillet 2021, Ennahdha qui se sentait invulnérable, ne s’est jamais éloigné du pouvoir et n’a jamais rien lâché. Pourtant le bilan est à la fois terrible et sordide: assassinats politiques; exfiltration de jihadistes vers les zones de guerre; construction de mosquées devenues sans le moindre effort ni frais des assemblées hebdomadaires pour mobiliser leurs troupes; développement d’écoles coraniques sur tout le territoire; constitution d’une milice du parti; pillage systématique des richesses du pays au nom du droit au butin. Sans parler de l’indécente réclamation dans un Etat en banqueroute de 3200 milliards pour dédommager les islamistes « victimes » de l’ancien régime. Pour finir, la déstabilisation ininterrompue de toute activité parlementaire et gouvernementale par des manœuvres habiles, largement nourries par l’imbécile emballement pour le pouvoir de ses adversaires politiques. Mais, adhérant à la Constitution, et bien que ne faisant confiance qu’à leurs partisans, les islamistes ne pouvaient échapper à leur réputation usurpée de démocrates.
Un parti au pouvoir, ou s’apprêtant à l’être, ne peut se satisfaire de sa légitimité ou de l’opinion, bonne ou défavorable, que se font les citoyens de sa pratique du pouvoir ou de ses programmes politiques. Il a aussi besoin de gagner la confiance de l’opinion publique internationale quant à son attitude en matière du statut des femmes; ses concessions dans le domaine de libertés publiques; ou encore la nature de ses alliances avec d’autres régimes islamistes honnis par la communauté internationale. Un mouvement politique doit aussi entretenir, par le mentir-vrai, les préjugés favorables d’un Occident traumatisé par des attentats terroristes et qui aspire voire s’installer un islam dit « modéré ».
Pour ce qui concerne les Etats-Unis, il avait été contraint dès le départ de se montrer à la hauteur de la politique d’engagement de l’administration Obama, responsable avec le Qatar du chaos révolutionnaire du Printemps arabe au sein duquel prospèrent ceux qui imposent depuis une décennie leur sanguinaire anarchie au nom de l’Etat islamique. En voulant toujours décider du destin des peuples malgré eux, les Américains avaient alors largement soutenu les fréristes tunisiens. Leur fiasco au Vietnam, en Afghanistan, en Irak et en Libye en dit long aujourd’hui sur leur totale inaptitude à déterminer l’avenir des peuples contre leur volonté et leur cruelle indifférence au sort des nations.
Le recours aux lobbyistes
Pour les islamistes tunisiens, pressés de faire oublier le triste bilan de la période de la Troïka et se montrer, en vue des échéances futures, sous un visage plus affable, quoi de mieux que le recours aux lobbyistes.
Le lobbying est un vocable né au début du XIXème siècle aux Etats-Unis et recouvre la défense d’intérêts privés par des individus ou groupements importants, afin d’inciter le législateur à voter d’une certaine manière ou à faire voter une loi. Ceci a l’inconvénient de limiter l’indépendance des élus qui ne peuvent se permettre de déplaire ouvertement à ceux qui les financent et qui facilitent leur réélection.
Le lobbying peut s’exercer aussi sur l’exécutif autant que sur certaines agences gouvernementales américaines (Pentagone, CIA, FBI, etc.). La pratique était devenue si contestable et contestée au vu du nombre très élevé des organismes de pression, que le Président Jimmy Carter (1977-1981) s’en était ému en quittant la présidence: « L’Amérique n’est plus une Nation. C’est une commission de lobbies ».
Le plus intéressant est que des Etats ou des partis politiques étrangers peuvent, à travers des organismes qui font du lobbying leur principale activité, exercer moyennant finance une pression sur certains membres du Congrès américain et du gouvernement. Et ce, pour qu’ils agissent en leur faveur ou améliorent leur image auprès de leur opinion publique.
Ainsi, Ennahdha était gravement affectée par les récentes décisions du président tunisien, qui a limogé le gouvernement, suspendu les activités du parlement sur la base des pouvoirs d’urgence temporaires accordés par la Constitution. Tout en écartant Rached Ghannouchi du paysage politique et en mettant en évidence sa perte de soutien dans le pays.
A ce titre, le mouvement aurait signé le 29 juillet 2021 un contrat avec « Burson Cohen & Wolfe », une agence internationale de communication et de relations publiques, d’une valeur de 30 000 $ (une pacotille) pour les mois d’août et de septembre 2021. Cette affaire fait suite à une autre, objet d’une enquête déjà lancée, sur un financement étranger illicite d’Ennahda pendant la campagne électorale de 2019.
Cela étant, l’exemple le plus intéressant d’un lobbying qui ne dit pas son nom, est celui du Centre pour l’Etude de l’Islam et de la Démocratie (The Center for the Study of Islam & Democracy ou CSID), dont le fondateur n’est autre que le Tunisien Radhouan Masmoudi, ingénieur de son état et membre, jusqu’à tout récemment, du comité directeur d’Ennahdha. Ce n’est pas un hasard si cet organisme, qu’il préside depuis 1999, soit basé à Washington, D. C. qui permet de s’adresser directement à l’establishment politique de la capitale américaine et d’offrir un visage plus avenant de l’islam politique.
Rappelons, en passant, qu’en 2013 M. Masmoudi a été proposé par Ennahdha pour être l’ambassadeur de Tunisie à Washington. Mais sa candidature a été rejetée par Moncef Marzouki, alors président de la République.
La visée ultime des politiques mises en œuvre par un mouvement ou un parti étant de conserver ou de conquérir le pouvoir, l’issue devient alors cruciale, voire égale, à une crise existentielle. Pour Ennahha, la question du pouvoir et de sa nature était devenue tributaire d’un choix préalable: sur quel terrain aborder le problème?
Ce sera d’abord celui de la vocation même du parti dans un monde où l’islam est de plus en plus identifié au terrorisme et livré aux massacres des fous de Dieu. Dans ce cas l’idée de concilier Islam et Démocratie, bien qu’anodine et passe-partout, pourrait bercer nonchalamment et jusqu’à l’endormir une opinion publique internationale de plus en plus inquiète et agitée.
Il faut en effet réussir à convaincre qu’Ennahdha n’est pas la confrérie des Frères musulmans qui, en Egypte, a été classée organisation terroriste et interdite. Mais le parti au pouvoir en Tunisie qui a été « élu démocratiquement au suffrage universel » et a adopté « la Constitution la plus progressiste du monde arabe ».
Radhouan Masmoudi avait alors conçu un oxymore inattendu à l’adresse d’une opinion publique occidentale désemparée. Il l’érigea en doctrine politique dont les principes et les exigences théoriques s’opposent et s’annulent: la démocratie islamique.
Colloques, dîners-conférences, causeries et discours d’ouverture représentaient alors le pire baratin du politiquement correct. Consistant à graver dans l’esprit du public l’idée que démocratie et islam ne sont pas irréductibles. Que la démocratie est compatible avec l’islam. Et même mieux, qu’elle le réclame. Afin de masquer l’incompatibilité croissante entre la société globalisée dirigée par le désordre idéologique, le libéralisme et le pluralisme démocratique.
Peu importe la société de communication sollicitée, quelle est la source de financement?
Toutefois cela reste insuffisant, car pour prêcher la bonne parole, il faut le concours d’une société de lobbying, avec ou sans CSID. Ennahdha s’adressa en 2014 à l’agence internationale de communication Burson-Marsteller, qui empochera 18 millions de dollars, soit 32 millions de dinars tunisiens, pour une campagne de 45 jours à l’étranger. Les clauses? « Promouvoir l’image de marque du parti islamiste tunisien dans les pays occidentaux. L’enjeu de cette campagne ce sont les élections législatives et présidentielles qui se tiendront en fin d’année en Tunisie, échéances cruciales pour le parti Ennahdha qui n’est pas sûr de se maintenir au pouvoir. ».
Voilà Rached Ghannouchi, représentant l’incarnation de l’islamisme démocratique dans le seul pays rescapé du Printemps arabe, en pérégrination. Multipliant dès 2012 visites et conférences à l’étranger. Il se retrouve tout d’un coup grandement sollicité, invité partout en Europe. Convié par l’Institut des États-Unis pour la Paix (US Institute of Peace), une institution de promotion de la paix, basée à Washington, D.C. Et par deux prestigieuses universités de Yale et de Columbia pour promouvoir le rôle central d’Ennahdha dans le succès de la transition démocratique en Tunisie. Il fut même consacré docteur honoris causa en philosophie et en civilisation islamique d’une université malaisienne en signe de reconnaissance pour sa contribution à la diffusion de la pensée de l’Islam modéré. Les voyages du chef du parti se poursuivirent en Chine, en Italie, en Allemagne et en France.
Maintenant, et peu importe la société de communication sollicitée, quelle est la source de financement? Dans quelle monnaie le paiement a-t-il été effectué? Quelles en sont les procédures de paiement? D’autres questions concernent l’intermédiaire désigné chargé de superviser cette logistique: Mme Ifhat Smith, un agent de liaison opérant à partir du bureau d’Ennahdha à Londres. La même Smith a déjà travaillé sur une campagne publicitaire « Fier d’être un musulman anglais » (Proud to be a British Muslim) organisée par le groupe Islam is Peace, en 2007.
Aussi douteux que soient ces accords, ils ne surprennent guère, compte tenu de l’état de perceptions occidentales du Moyen-Orient, du « monde arabe » et de l’islam. Perceptions continuellement déformées par l’ignorance et la propagande. Ennahdha a ainsi fait le bon choix en s’adressant au grand public occidental, à travers des sociétés compétentes. Car sa propre communication en matière de relations publiques a été signalée comme défectueuse et sans originalité.
Redorer l’image d’Ennahdha tout en ternissant celle de Kaïs Saïed
Il est tout aussi possible de redorer l’image d’Ennahdha tout en ternissant celle de Kaïs Saïed. Ainsi, dans un article du CSID, paru le 26 août 2021, et intitulé « Perdre l’Afghanistan était inévitable. Perdre la Tunisie ne l’est pas ». (Loosing Afghanistan is Inevitable. Loosing Tunisia is not), un certain Noah Feldman, professeur de droit à Harvard, dénonce, en totale ignorance de la réalité tunisienne, la décision prise par Kaïs Saïed de prolonger les mesures prises le 25 juillet 2021. Pour l’auteur, la Tunisie, « qui est passée du statut de démocratie fonctionnelle à une véritable autocratie, aurait été une victoire facile pour l’engagement nominal de Joe Biden à soutenir la démocratie dans le monde. Si l’administration avait pris soin d’y prêter une attention significative. Au lieu de cela, l’administration n’a rien fait pendant que le président élu de la seule démocratie du monde arabe a suspendu le parlement en violation de la constitution tunisienne. Et a annoncé que les membres du parlement seraient désormais passibles de poursuites en justice. »
Pourtant, poursuit l’auteur, « le coût pour les États-Unis aurait été extraordinairement bas. Pas un seul soldat n’aurait été engagé, ni aucune menace d’intervention militaire d’aucune sorte proférée. La Tunisie dépend des prêts et de l’aide économique des institutions internationales. Une condamnation internationale significative de l’effondrement de la démocratie aurait forcé Kaïs Saïed à faire marche arrière. Il entrevoyait clairement en effet cette possibilité, mais a opté pour une voie inhabituelle consistant à organiser un coup d’État progressif pour s’assurer qu’il pourrait toujours changer de cap si nécessaire ».
Enfin, l’auteur termine son papier en rappelant que le message du Secrétaire d’Etat Antony Blinken autant que celui de Jake Sullivan, une fois traduits en langage diplomatique, encouragent en fait Kaïs Saïed à aller de l’avant.
Rached Ghannouchi chassé comme un malpropre
Ceci étant, il ne faut pas croire que dans cette affaire Rached Ghannouchi n’avait pas mis du sien. Au-delà de son changement d’apparence qui le rendait présentable et présidentiable, et bien que parfaitement conscient de son existence et de qu’il est, c’est-à-dire le leader incontesté d’Ennahdha, il chassa de son esprit les affreux détails du militant zélé ainsi que les traits constitutifs de sa véritable personnalité d’islamiste invétéré. Frappé par une amnésie partielle, il rejeta dans les abysses de l’oubli des pans entiers de sa carrière d’islamiste; ainsi que les péripéties du gouvernement de la Troïka dont il fut l’inspirateur et le leader.
Son oublieuse mémoire ne lui permettait plus d’interroger le passé récent dont les traces avaient fini par s’effacer. Ne lui laissant aucune possibilité d’exprimer des regrets ou des remords sur les dommages que son projet politique a fait subir au pays. Il essaya en vain de se remémorer la déraison religieuse qui s’est emparée du régime qu’il avait installé, devenu un défi permanent à la liberté et à l’intégrité physique du citoyen.
Cette perte de mémoire rendait inutile toute possibilité d’inventaire sur les piteuses performances de son régime et ses stigmates peu reluisants sur la société. Cela lui permit de passer sous silence certains événements, cicatriser provisoirement les plaies collectives, faire taire le tumulte de la vindicte, ne pas ranimer le cercle infernal de la revanche.
Il pouvait enfin nier les erreurs du passé qui ont commencé à perdre au fil du temps leurs significations pour une frange de la société devenue tout à coup indécise et qui était pourtant déterminée à ne plus jamais faire confiance aux islamistes.
Il se découvre désormais deux corps séparés mais solidaires, qui s’incorporent, coopèrent harmonieusement sans jamais s’opposer, sans que l’un prenne le dessus sur l’autre. Reflétant ainsi une disposition intellectuelle inattendue. Le corps du guide est devenu l’expression d’un bel amalgame entre l’autorité politique et le pouvoir religieux. Ainsi, était oublié à jamais l’image du représentant d’une confrérie qui entendait instaurer, y compris par la force, le règne de la Loi de Dieu.
Persistera et se renforcera cependant la conviction qu’il demeurait le leader charismatique et incontesté d’un parti islamiste dont il choisit les options stratégiques et en gère les fonds. Il était grand temps pour lui d’agir en dirigeant bienveillant, parfois en partenaire. Faire de Montplaisir une sorte d’annexe du palais de Carthage en attendant patiemment son heure de gloire. Il se met alors à intervenir tous azimuts: il supervise les nominations au sein du gouvernement; permet le maintien en fonction ou le changement de ses membres; reçoit les personnalités politiques internationales; intervient sur les ondes pour commenter la situation politique dans le pays. Rien ne se décidera plus sans son accord, rien ne se fera sans son assentiment. Situation plus que confortable puisqu’il concentre tous les pouvoirs sans être responsable devant l’opinion publique. Il n’est justiciable de rien, même pas de la foi et du jugement divin.
Mais le bonheur que savourait Rached Ghannouchi, censé être une succession continue et durable de paix et d’harmonie douce, qui sont le propre de la vie du sage, n’a pas duré longtemps. Le 25 juillet 2021, tout président de parlement qu’il est, il fut chassé comme un malpropre. Le président d’Ennahdha peut toujours dénoncer le « coup d’Etat » de Kaïs Saïed, les conseils d’Abd al-Fattah al-Sissi, l’hostilité des Algériens, le soutien bienveillant des Emirats. Il peut occulter le passé, invoquer l’amnésie partielle, refuser d’assumer ses actions passées, la vérité, même méconnue, restera la vérité. C’est-à-dire une chose supérieure aux aberrations d’un fulgurant changement d’apparence.