Il était parmi nous en pleine crise sanitaire et politique. Il a assisté en témoin privilégié aux soubresauts de ce mois de juillet où le président de la République, Kaïs Saied, osa donner un coup de pied dans la fourmilière. Marek Halter, philosophe franco-polonais, essayiste et écrivain prolifique, publie une rubrique sur le site de l’hebdomadaire parisien Marianne. Et ce, pour engager les pays occidentaux « à ne pas oublier un pays dont la réalité semble échapper à de nombreux commentateurs ». Extraits.
Amoureux de notre pays, Mark Halter est retourné en Tunisie « ce pays que j’ai découvert tout jeune. Et avec lui, l’odeur du jasmin ainsi que ces femmes arabes libérées du joug doctrinal de la charia, grâce à Habib Bourguiba, le premier président de la République tunisienne moderne.
C’était en 1956, bien avant que les femmes des pays occidentaux n’aient obtenu, au bout d’une longue lutte, l’intégralité des droits civiques dont elles jouissent aujourd’hui ». A-t-il rappelé, admiratif, au bon souvenir des Européens.
Images bouleversantes
Ayant reçu, il y a un mois, un appel de son ami l’imam Hassen Chalghoumi, président de la Conférence des imams de France, qui lui demandait de se mobiliser pour la Tunisie en plein désastre sanitaire, il n’avait pas hésité une seconde. « Comment pouvais-je refuser? Surtout après avoir vu l’image bouleversante transmise par nos chaînes de télévision montrant le directeur d’un hôpital de la région de Bizerte, fondre en larmes face à la pénurie d’oxygène, alors qu’il devait soigner une quarantaine de patients atteints du Covid-19 ». Ainsi s’exclamait-il avec émotion.
Islamisation et corruption
Et de témoigner: « Je suis arrivé à Tunis, Carthage, fin juillet, quelques jours après que le peuple est descendu dans la rue pour applaudir son président qui venait de s’adjuger tous les pouvoirs. Ce même peuple qui, il y a plus de dix ans, était dans la rue pour « dégager » un président trop autoritaire, Ben Ali. Entre-temps, l’islamisation forcée et la corruption ont miné la vie politique tunisienne », a-t-il constaté, amer.
L’écrivain s’interroge: « La liesse populaire fêtait-elle l’arrivée d’un homme providentiel ou la défaite des islamistes? Au moment où, à quelques milliers de kilomètres de là, d’autres islamistes, les talibans, s’emparaient d’un pays pourtant soutenu par la plus grande puissance militaire au monde?
La réponse fuse d’elle-même: « Plus de 80% des Tunisiens ont appuyé les poursuites judiciaires lancées par le président Kaïs Saïed à l’encontre des députés et ministres islamistes du parti Ennahdha, pour corruption et soutien au terrorisme- des milliers de jeunes tunisiens sont partis rejoindre les rangs des djihadistes en Syrie et en Irak. Y compris à Sfax, bastion des islamistes, où la population a applaudi ».
« L’Etat semble fonctionner normalement »
Pourtant, témoigne l’écrivain, « en l’absence de Parlement, les rouages de l’État semblent fonctionner normalement. La vie tunisienne continue. Pas de débordements, pas de violence. Les vaccins envoyés par la France– et par d’autres pays– ont permis au président Saïed de fournir les pharmacies qui vaccinent gratuitement ».
Les femmes tunisiennes en première ligne
Et maintenant? En effet, Mark Halter s’interroge: « Les interventions extérieures irritent le patriotisme tunisien et justifient plus encore aux yeux de la population le coup de force constitutionnel du président Kaïs Saïed ».
« Selon l’historien Abdelhamid Larguèche, ce geste s’apparente à la proclamation de la République tunisienne par Habib Bourguiba le 25 juillet 1957. Mais aura-t-il les mêmes répercussions? Pour l’instant, le président a l’appui de l’armée et de la puissante centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du Travail (UGTT). Ainsi que des associations de femmes. Cependant, ce sont elles qui risquent de descendre dans la rue aux premiers signes d’une mainmise sur le pouvoir ». Bel hommage à la femme tunisienne, nissaon wa noss, selon l’icône de la révolution, le poète Awled Hmed.
Le génie tunisien
Enfin, pour conclure, l’essayiste lance un vibrant appel pour que la flamme entretenue par ce petit pays, la Tunisie, ne s’éteigne jamais. « Dans un monde sans idéologie, sans prophètes, sans rêve collectif, nous réagissons en nous appuyant sur des exemples, historiques, pour ceux qui connaissent l’histoire, ou que nous trouvons autour de nous.
La Tunisie, seul pays musulman où démocratie et islam coexistent– on y compte de multiples partis politiques et de nombreuses croyances–, incarne, au fil des ans, l’espoir d’un changement dans ce vaste monde qui nous entoure ».
Et d’avertir solennellement: « Si cette référence, par malheur, devait s’estomper, il ne restera, aux yeux de l’opinion publique mondiale, que l’image de Kaboul sous la domination des Talibans ». Glaçant.