L’ancien SG du Courant démocrate Mohammed Abbou déplore une certaine tiédeur de la part du président de la République. Et ce, dans l’application de la justice contre les « symboles de la corruption ». Tout en estimant que le bilan des 38 jours après l’activation l’article 80 « reste en deçà des attentes ».
Quel bilan dresser des 39 jours de mesures exceptionnelles que le président de la République, Kaïs Saïed prenait le 25 juillet 2021? Après l’euphorie et la liesse populaire aux quatre coins de la Tunisie, est venu le temps de l’impatience. Et une certaine inquiétude suite à la décision présidentielle de prolonger sine die l’état d’exception. C’est dans ce contexte que s’exprimait M. Abbou.
Le Président n’avait-il pas promis de désigner un nouveau Premier ministre dans les 30 jours? A-t-il pris goût au pouvoir solitaire, glissement sournois vers un certain autoritarisme? A-t-il besoin de plus de temps pour asseoir son autorité afin de mener sa guerre titanesque contre les gros requins de la corruption? Ne risque-t-il pas de disperser son énergie, en voulant courir tous les lièvres à la fois?
Justice balbutiante
Mohamed Abbou, ancien SG du Courant démocrate, ancien ministre auprès du chef du gouvernement chargé de la Réforme administrative dans le gouvernement Hamadi Jebali, ex-ministre d’État chargé de la Fonction publique au sein du gouvernement Fakhfakh, reproche au président de la République de ne pas avoir pris le taureau par les cornes. Notamment dans le domaine de la lutte contre la corruption, cheval de bataille de cet avocat de formation.
« Le bilan des 38 jours, depuis que le président de la République, Kaïs Saïed a activé l’article 80 de la Constitution, reste en deçà de nos attentes. Notamment pour ce qui est de la justice et des décisions de résidence surveillée.
Certes, il y a des personnes assignées à résidence, reconnait-il, mais des individus plus dangereux sont toujours en liberté. Maintenant, c’est au président de la République d’agir… Nous attendons des résultats concrets. Pour ce qui est de la corruption, elle ne s’était pas emparée de l’Etat, mais elle l’a soudoyé ». Ainsi déplorait-il, lors d’un entretien accordé hier jeudi à Jawhara FM.
A titre d’exemple, ajoute Mohamed Abbou, « les décisions d’assignation à résidence n’ont pas été appliquées sur plusieurs politiciens ripoux, dont l’implication dans de nombreuses affaires douteuses a été prouvée. A l’instar de l’obtention de financements étrangers aux élections ».
Les gros poissons à l’abri de la justice
En effet, l’avocat reproche au Président une certaine tiédeur dans sa lutte contre le mal endémique de la corruption. Kaïs Saïed, estime-t-il, aurait dû aller, en priorité, « vers les symboles de la corruption et les personnes qui constituent le plus grand danger pour l’Etat. Lorsqu’il a décidé de prendre les mesures d’assignation à résidence ».
« Le président de la République n’a pas interpelé tout au long de cette période la justice, pour l’inciter à ouvrir et accélérer l’examen de nombreux dossiers. D’autant plus qu’il contrôle désormais l’appareil sécuritaire ».
Abbou : non à la suspension de la Constitution
Sur un autre volet, l’ancien SG démissionnaire du Courant démocrate s’est montré très sévère quant à la suspension de l’application de la Constitution de 2014. La qualifiant d’ « atteinte directe à la sécurité nationale ».
Et d’expliquer doctement: « La suspension de l’application de la Constitution de 1959 avait eu lieu dans le cadre de la Révolution de 2011. Or, nous ne sommes pas dans le même contexte. Le 25 juillet devrait rester dans les clous de la Constitution et notamment dans le cadre de l’article 80. »
Sinon, « la suspension de l’application de la Constitution représente un risque ». « Je suis certain que le président de la République n’est pas un dictateur. Mais il ne doit pas prêter l’oreille et écouter ceux qui l’invitent à suivre cette voie périlleuse ».
Rappelons pour l’histoire que, dans un post retentissant publié le 9 décembre 2020 sur sa page FB, Mohamed Abbou avait appelé à « la dissolution du Parlement et au déploiement de l’Armée ». Et ce, sans passer par le fameux article 80, ni enfreindre l’esprit de la Constitution. Estimant qu’il n’y a point d’autres issues pour sauver le pays, le sortir enfin de la crise. Et mettre un terme à la chienlit et à l’effondrement de l’Etat. Proposant dans la foulée que cette initiative soit chapeautée par le chef de l’Etat, fort de ses près de trois millions de voix.
Des propos ayant suscité à l’époque des réactions violentes de la part de ses détracteurs et même dans son propre camp.