Décidément, les relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc ne ressemblent en rien à un « long fleuve tranquille »… Elles ont du mal à se stabiliser. Même si elle était relativement attendue, la décision algérienne de rompre les relations diplomatiques avec son voisin, le Maroc, provoque une réelle onde de choc; y compris du côté de l’Europe du sud. Elle vient ponctuer un processus d’escalade entre les deux principales puissances régionales. Une rupture diplomatique et un jeu de puissances déconnectés avec les liens entre les peuples. Et dont pâti la construction d’un Maghreb dans un monde globalisé. Bref, une décision qui ne s’inscrit pas dans le sens de l’Histoire. Ou du moins, qui n’est pas à la hauteur des enjeux internationaux et régionaux.
L’Algérie a tenté de justifier la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, en accusant le royaume « d’actions hostiles ». Pourtant, la rupture diplomatique s’inscrit dans une longue histoire de tension diplomatique entre ces deux pays du Maghreb. Elle remonte à la période post-indépendance.
Une tension politique continue
Ainsi, en 1975, l’Algérie avait expulsé des milliers de Marocains. Les frontières entre les deux pays sont fermées depuis 1994. Les relations sont limitées au strict minimum, il y a peu d’échanges commerciaux.
Dernièrement, l’Algérie accusait le Maroc d’être en partie responsable des incendies qui dévastèrent le nord du pays mi-août. Il faut y voir une réaction à une note qui aurait été distribuée par l’ambassadeur du Maroc d’une réunion du mouvement des non-alignés à New York, les 13 et 14 juillet. Laquelle note appellerait au soutien du « peuple kabyle » dans « son droit à l’autodétermination ». Le genre de référence qui relève d’une ingérence dans les affaires intérieures, selon Alger.
D’autant plus « inacceptable », que le régime algérien fait face à des difficultés intérieures aigues: une mobilisation de la société civile (le « hirak ») contre la dérive du régime; la gestion défaillante de la pandémie et des incendies de forêts; des services publics (de la santé, de l’eau, de l’énergie, etc.) insuffisants face aux besoins de la population…
La transaction diplomatique (normalisation avec Israël en échange de l’alignement des Etats-Unis sur la position marocaine sur le Sahara occidental) est assez grossière.
Cette rupture est également liée à des décisions directement liées à la fin du mandat présidentiel de D. Trump. A savoir, la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël. Ainsi, suite à la signature des accords d’Abraham, le Maroc a ouvert une ambassade à Tel-Aviv et Israël a installé la sienne à Rabat.
Et surtout la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Une position confirmée par Joe Biden, le successeur de Trump à la Maison Blanche.
D’ailleurs, la transaction diplomatique (normalisation avec Israël en échange de l’alignement des Etats-Unis sur la position marocaine sur le Sahara occidental) est assez grossière. Il n’empêche, elle n’a pas fini de provoquer une certaine onde de choc régionale.
Quant au dernier dossier du Sahara occidental, il est hautement inflammable. C’est un héritage de l’époque coloniale, avec le partage du Sahara entre les différentes administrations coloniales françaises, espagnoles et italiennes. En effet, les frontières sud et sahariennes du Maghreb sont à l’origine de différends frontaliers.
Le dossier clef du Sahara occidental
Depuis le départ en 1975 de l’ancienne puissance coloniale, l’Espagne, le contentieux territorial n’est toujours pas résolu. Engagée en 1974, la décolonisation conduit à un conflit armé entre la Maroc et le Front Polisario jusqu’au cessez-le-feu de 1991. Les anciennes zones d’influence sont devenues des frontières nationales des nouveaux États souverains.
Or, si ces tracés ont pu créer quelques incidents ponctuels entre la Libye et la Tunisie; ils nourrissent des tensions géopolitiques entre l’Algérie et le Maroc.
Après la fin du protectorat français en 1956, le Maroc, sous l’impulsion des nationalistes de l’Istiqlal, entend reconstituer l’intégrité territoriale d’un « Grand Maroc ». Lequel rassemblerait toutes les terres qui ont « appartenu historiquement » au royaume à une période ou à une autre. Il revendique alors tous les territoires contrôlés par les Espagnols et une partie des territoires contrôlés par la France (portion du Sahara autour de Tindouf et Bechar), ainsi que la Mauritanie.
La Marche verte
L’engagement du processus de décolonisation suscite des tensions entre les parties concernées (Espagne, Maroc, Algérie, Mauritanie). Et il va conduire à la création du Front Polisario en 1973. Le Maroc annonce l’organisation d’une « Marche verte ».
Début novembre 1975, 350 000 civils marocains franchissent pacifiquement la frontière. Le 14 novembre 1975, le gouvernement espagnol signe les accords de Madrid avec le Maroc et la Mauritanie. Le territoire est divisé en deux parties: les 2/3 au nord reviennent au Maroc, le sud à la Mauritanie. Le Front Polisario s’y oppose. Les troupes marocaines et mauritaniennes se déploient.
De son côté, le Front Polisario, qui a proclamé la République arabe sahraouie démocratique en 1976, continue de réclamer, avec le soutien de l’Algérie, la tenue d’un référendum prévu par l’ONU au moment de la signature d’un cessez-le-feu entre les belligérants en 1991. Toutes les tentatives de règlement du conflit ont échoué.
Si les deux principaux protagonistes dans ce conflit, le Maroc et le Front Polisario, se disputent la souveraineté de ce territoire (d’environ 263 450 km²) qui se situe dans l’espace sahélo-saharien; ce conflit a installé les deux principales puissances maghrébines dans une relation de défiance, ponctuée par des accrochages à la frontière.
D’ailleurs, les échanges de feu entre garde-frontières algériens et marocains attestent la persistance et la vigueur de l’antagonisme; ainsi qu’une confrontation directe à Amgala (1976), au Sahara occidental. En effet, après la « guerre des sables », l’Algérie arme les indépendantistes du Front Polisario (financés aussi par la Libye) entré en conflit avec le Maroc.
L’avenir de l’Union du Maghreb arabe en jeu
Au-delà de la coopération bilatérale algéro-marocaine, c’est l’avenir de l’Union du Maghreb arabe qui en jeu. Déjà au ralenti, cette organisation devrait être le levier idoine pour répondre aux enjeux communs de la région: sécurité, réchauffement climatique, etc.
Or la glaciation des relations entre ces deux principales puissances nationales du Maghreb bloquent de facto toute capacité d’action réelle de l’UMA et empêche tout progrès significatif en faveur de l’intégration de la région méditerranéenne. Enfin, le statu quo est propice au développement d’un nouveau foyer de trafics et de bases-arrières pour des groupes djihadistes déjà actifs dans les régions du Sahara (Tunisie, Algérie) et du Sahel.
La sortie de l’impasse est donc impérieuse pour la stabilité et la sécurité de la rive sud-ouest de la Méditerranée. Seul un règlement définitif dans le cadre des Nations Unies contribuera utilement à la sécurité et à la stabilisation de la région sahélo-saharienne.