L’universitaire et experte dans le domaine des ressources en eau et de l’adaptation aux changements climatiques, Raoudha Gafraj, réitère sa mise en garde contre la rareté des ressources en eau en Tunisie. En estimant que « les ressources disponibles ne peuvent plus couvrir les besoins de l’irrigation ».
Mme Gafraj appelle ainsi à limiter l’extension des périmètres irrigués publics. Elle considère que « la poursuite de la création de ces périmètres qui exploitent l’eau de surface a négativement impacté les ressources hydrauliques; surtout face à l’irrégularité des précipitations ».
« Nous avons maintes fois alerté quant à la gravité de la situation. Mais l’Etat a poursuivi la démarche de création de périmètres irrigués » a-t-elle enchaîné. Tout en épinglant « la mauvaise gouvernance entachant la politique hydraulique nationale ».
Elle précise que les périmètres irrigués publics et privés s’élèvent aujourd’hui à 435 mille hectares. La spécialiste en eau exige que l’Etat s’oriente vers les cultures les moins consommatrices d’eau. Et réduise les périmètres irrigués qui dépendent des eaux des barrages.
Elle propose aussi l’importation des primeurs de pommes de terre, de piments et de tomates. La spécialiste estime en outre que les ressources en eau disponibles ne suffisent pas à irriguer la culture de ces primeurs.
« 40% de ces primeurs sont produits dans le gouvernorat de Monastir et irrigués à partir des eaux du barrage de Nebhana (gouvernorat de Kairouan) qui ne contient actuellement que 2,3 millions de m3. Alors que les ressources nécessaires pour préserver cet ouvrage devrait s’établir à 50 millions de m3 au moins »déplore-telle.
L’interlocutrice a, par ailleurs, fait remarquer que certains agriculteurs recourent à l’eau potable distribuée par la SONEDE pour des besoins d’irrigation. Elle souligne « le grave impact de cette pratique qui doit être sanctionnée ».
« Pire, certains agriculteurs utilisent même des eaux polluées pour couvrir leurs besoins d’irrigation. Avec tous les risques que cela comporte pour la santé. Et j’étais personnellement témoin de ces pratiques dans le gouvernorat de Kasserine », poursuit-elle.
Les barrages à leur plus bas niveau
De son côté, le Directeur général des Barrages et des Grands Ouvrages Hydrauliques, Faiez Msallem, a fait savoir que les barrages tunisiens ne contiennent au 6 septembre 2021, que 750 millions de m3, soit 32,4% de leur capacité de remplissage.
M. Msallem a qualifié de très bas le niveau des ressources en eau actuellement disponibles en Tunisie. Il affirme que certains barrages se trouvent dans une situation extrêmement difficile. A l’instar de celui de Nebhana qui ne contient que 2 millions de m3, soit 3,5% de sa capacité de remplissage. Sachant que ce barrage est exploité par quatre gouvernorats. A savoir Monastir, Sousse, Mahdia et Kairouan à des fins d’irrigation.
Et d’ajouter: « Nous sommes au début d’une nouvelle saison hydraulique. Celle-ci s’étale du 1er septembre 2021 au 30 août 2022. Nous espérons que le niveau des apports durant cette saison soit suffisant pour surmonter les difficultés actuelles ».
Abandonner la culture d’arrière saison
Le commissaire au développement agricole à Nabeul, Hamza Bahri, a appelé à l’abandon de la culture d’arrière saison dans sa région. Et notamment celle des pommes de terre, des tomates et des piments. Il a expliqué son appel par la forte régression des ressources en eau.
Il a indiqué que les ressources en eau actuellement disponibles dans les cinq barrages du gouvernorat de Nabeul (Bezirk, Chiba, El Abid, El Masri, Lebna ) sont à peine de 7 millions de m3; soit 16% de leur capacité totale de remplissage (43 millions de m3). Ce qui constitue le niveau le plus bas jamais atteint auparavant ».
Les barrages du gouvernorat de Nabeul sont exploités pour les besoins d’irrigation des périmètres irrigués publics de la région. Notamment pour l’irrigation des agrumes et des légumes.
M. Bahri estime donc qu’ « à la lumière de la situation actuelle, nous avons pris la décision de limiter les cultures consommatrices de grandes quantités d’eau. Laquelle décision a été prise de concert avec le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche et l’UTAP. Elle concerne uniquement les périmètres irrigués publics ». Et d’ajouter que « les agriculteurs ont accepté à contre cœur cette décision ».
Le responsable précise, en outre, que « le ministère du Commerce et du Développement des exportations a été informé de cette décision ». Il fait remarquer que « les prix de ces produits pourraient augmenter durant l’année en cours ».
Il a toutefois, mentionné que « cette décision reste tributaire du niveau des précipitations et pourrait être revue si les apports sont importants ».
Avec TAP