A quoi peut-on s’attendre de l’après-25 juillet ? Peut-on parler d’une feuille de route dans les prochains jours? Alaa Talbi, directeur exécutif du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), dresse un état des lieux dans une interview accordée à leconomistemaghrebin.com
Quel est le bilan que l’on peut dresser de l’après-25 juillet?
Ce qui s’est passé le 25 juillet était clair. D’ailleurs, les organisations nationales l’ont soulevé, en déclarant que c’était un moment attendu. Et ce, en raison des fortes mobilisations qui ont eu lieu presque dans les 24 gouvernorats via des mouvements contestataires. De plus, la gestion de la situation économique et sanitaire a montré ses limites. D’ailleurs, le rapport du FTDES a mis l’accent sur la complexité de la situation.
Il faut rappeler également que les mouvements de contestation ont persisté tout au long de ces dix ans. Quant au 25 juillet, la mobilisation a inclu aussi bien des jeunes que des moins jeunes, voire des mineurs. Il en va de même pour la tranche d’âge 40-55 ans qui, elle aussi, a manifesté cette journée-là.
Pensez-vous que les revendications du 25 juillet soient les mêmes que celles de l’après-14 janvier 2011?
Les revendications ne sont pas les mêmes. Car le profil des contestataires de l’après-14 janvier et celui du 25 juillet ne sont pas les mêmes. Pour la simple raison que le slogan était différent. En fait, nous avons une jeunesse en colère contre la médiocrité de la classe politique. Et ce, en raison des scènes de violence orchestrées au Parlement.
Et puis, nous avons un profil du 25 juillet (40-55 ans) qui croit à la démocratie électorale. Et ce ras-le-bol a réuni tout le monde pour dire basta à ce modèle politique. Tout est monté en crescendo depuis le fameux discours de Abdelkarim Harouni qui, pour rappel, a revendiqué la somme stratosphérique de 3.000 milliards de dinars à titre d’indemnisations « des victimes ».
Le FTDES a proposé une feuille de route que vous avez transmise à la présidence de la République. Quelles sont les grandes lignes à mettre en place dans l’immédiat, selon vous ?
Pour commencer, ce sont des propositions de court terme. Aujourd’hui, il est plus que nécessaire d’accorder un intérêt particulier aux problèmes socio-économiques en Tunisie et de ne pas se contenter de débloquer le problème politique. D’ailleurs, le FTDES, dans le cadre des réformes socio-économiques, a proposé une panoplie de mesures à la présidence de la République. A titre d’exemple, œuvrer pour imposer un impôt sur la fortune ; imposer un nouvel impôt sur les secteurs ayant tiré profit de la crise sanitaire ; lutter globalement et fermement contre la corruption sans exception aucune.
Cette feuille de route a été transmise à la présidence de la République. Cependant, elle reste une simple proposition quand il n’y a aucune annonce faite concernant la désignation du chef du gouvernement. Plus encore, plusieurs sujets doivent être débattus. A titre d’exemple, revoir le modèle économique, le taux d’endettement interne, maîtriser les dépenses publiques. Et pour y parvenir, il faut changer ce modèle économique étouffé.
Par ailleurs, le FTDES a évoqué l’indépendance de la Banque centrale. Je pense que c’est un débat où il va falloir poser les bonnes questions, comme, par exemple, qu’avons-nous fait de la question de l’indépendance? A mon avis, il faut mettre fin à l’indépendance de la Banque centrale. D’ailleurs, il s’agit de l’un des points évoqués dans la feuille de route.
Vous savez, pour qu’il y ait une démocratie, il faut aller vers l’essentiel, notamment le volet économique. Et indépendamment du fait qu’on soutient ou non le 25 juillet, le constat réel est qu’on est en pleine crise socio-économique.
Etes-vous en faveur d’un changement de régime politique, pour se diriger vers un régime présidentiel?
Je pense que l’urgence aujourd’hui est de trouver un équilibre, quel qu’il soit : parlementaire, présidentiel. Changer ou pas le système politique, le FTDES s’est toujours penché sur les questions économiques. Et tout le monde sait que l’économie est toujours liée à la politique. Je pense que le régime présidentiel pourrait être une solution si et seulement si on instaure les instances comme la Cour constitutionnelle.
Plus encore, le grand défi est comment construire une vision partagée et de pratique commune et lancer un débat entre les mouvements des jeunes, les partis, les organisations nationales, autour de la question des droits et des libertés.
Or, pour une démocratie qui se respecte, il faut une force de proposition et mettre un terme au partage des intérêts de la classe politique. D’ailleurs, la question n’est pas liée à un changement de régime politique, mais à la pratique de la classe politique.
Quels sont, selon vous, les dispositifs à mettre en place?
On ne peut pas passer par un dialogue tant que la question de l’impunité demeure en suspens. L’indépendance de la justice est essentielle. Et pour finir, nous sommes tous attachés à l’Etat de droit, à l’indépendance de la justice. En somme, une démocratie doit être un vecteur social basé sur les droits et l’égalité.