Il y a un peu plus d’un mois, le puissant Rached Ghannouchi a été honteusement délogé manu militari du Parlement et son parti livré en pâture à une opinion publique longtemps excédée par les agissements de charlatans et d’improvisateurs d’un prétendu islam modéré.
Qui aurait cru, la veille du 25 juillet 2021, que les islamistes d’Ennahdha, constamment présents dans le paysage politique depuis dix ans, de même que leurs associés et consorts, seraient si facilement laminables ? Mais comme un malheur n’arrive jamais seul, voilà que leurs frangins du Maroc, à travers le verdict des urnes cette fois, voient le nombre de leurs députés passer de 125 à 12.
Ecrasés sous le rouleau d’un puissant discrédit, leur représentation brute et épaisse était réduite à une feuille aussi mince qu’une porcelaine. Le crépuscule, lit-on dans Le Robert, désigne aussi bien la lueur qui précède la levée du soleil, que la lumière incertaine qui succède immédiatement au coucher de l’astre.
Dans le crépuscule, les choses sont à l’état de naissance ou de disparition. Parce que le crépuscule est tant l’aube, la genèse, la naissance, que le déclin du jour, la corruption et la mort.
Les Tunisiens, qui sont sortis la nuit du 25 juillet soulagés et rassurés de s’être enfin débarrassés d’Ennahdha, sont-ils tous persuadés aujourd’hui qu’ils sont désormais les témoins du crépuscule du déclin, après avoir été ceux de la naissance et de la genèse de l’épopée islamiste, autrement dit la fin de leur ambition et de leur influence. Quoi ? Dieu ne serait plus avec eux ? Pas si sûr !
La machine islamiste de propagande s’est mise en branle
Depuis le coup de force de Kaïs Saïed, plus que jamais hostile à toute feuille de route qu’il abandonne volontiers aux géographes, qui prend son temps et ne se hâte pas de prendre une décision, la machine islamiste de propagande s’est mise en branle.
Groupes de pression et agences de communication grassement rémunérées sont déjà à l’oeuvre en Europe et aux Etats-Unis. Ils dénoncent un coup d’Etat « militaire », avertissent les naïfs régimes occidentaux qu’en tant que « gardiens de la révolution et garants de la démocratie », les islamistes craignent que les fondements de l’Etat de droit, le pluralisme, la participation sociale et la liberté d’opinion soient menacés ! Ils déclarent haut et fort qu’en s’en prenant à eux, Kaïs Saïed s’attaque en vérité à des braves gens, dont le seul tort est d’avoir rendu compatible l’islam avec la démocratie.
Bref, que l’islam à la tunisienne, tout en s’appropriant la liberté dans sa version occidentale, a réussi à inventer son propre modèle : un système politique démocratique, dont la légitimité islamique permettrait de préserver la dimension culturelle et éthique issue de la religion, tout en ayant une base sociale plus large.
Or, leurs ennemis, disent-ils, cherchent inlassablement, soit à disqualifier la capacité de l’islam à tolérer un système politique assurant les droits fondamentaux des citoyens, soit à rejeter les valeurs islamiques comme projet politique, afin de maintenir ou renforcer leur pouvoir autoritaire. Au secours !
« Depuis le coup de force de Kaïs Saïed […] qui prend son temps et ne se hâte pas de prendre une décision, la machine islamiste de propagande s’est mise en branle ».
Faisant entendre leurs lamentations jusqu’aux tribunes des Parlements européens et du Congrès américain, les islamistes d’Ennahdha avaient de fortes chances d’attendrir leurs représentants.
Les Américains, qui ont passé un demi-siècle à exterminer des militaires et des civils dans de vaines guerres contre le communisme au Vietnam et l’islamisme radical en Afghanistan et au Moyen-Orient, se montrent sourcilleux dès qu’il s’agit du respect de la légalité démocratique incarnée en un président ou une majorité parlementaire élus.
Si Washington avait fortement encouragé « le printemps arabe », c’est parce qu’il y voyait un ralliement aux valeurs universelles, autrement dit occidentales, que sont la liberté et la démocratie, et peu importe le parti qui les incarne.
Une fois convaincus de la conversion des islamistes aux normes des élections libres, de la sauvegarde du libéralisme en économie et du conservatisme des moeurs, un ensemble de principes que prônaient les prétendus réformateurs d’Ennahdha et rendaient le profil idéologique des « Frères musulmans » de Tunisie tout à fait acceptable, Européens et Américains ont consacré les moyens politiques et financiers pour les introduire dans l’arène démocratique et les défendre contre leurs détracteurs.