Que peut-on déduire du discours du président de la République Kaïs Saïed à Sidi Bouzid? Kerim Bouzouita, anthropologue, le décortique et dresse une analyse complète dans une déclaration à leconomistemaghrebin.com.
Kerim Bouzouita souligne que le discours de Kaïs Saïed marque un tournant décisif dans l’avenir des Tunisiens. Et ce, avec la pérennisation de l’état d’exception. En annonçant des « dispositions transitoires », c’est-à-dire une réorganisation de facto des pouvoirs publics, le Président confirme qu’il n’y aura pas de retour à l’ordre constitutionnel de 2014.
Avant d’ajouter: « Le choix de Sidi Bouzid comme cadre pour ce nouveau coup de force n’est pas fortuit. Par ce choix, Saïed veut réaffirmer sa généalogie politique révolutionnaire. D’ailleurs, il prend le 17 décembre 2010 comme élément fondateur de son être politique. La présence du public, dont les slogans et revendications hurlés ont été très remarqués et ont parasité les paroles du Président tout au long de son discours, confirme sa volonté de faire corps avec le peuple. Et de légitimer ainsi son choix comme étant la volonté du peuple. »
Et de poursuivre: « Cependant, l’annonce des décisions de cette ampleur, dont les conséquences sont inconnues pour l’ensemble de la communauté nationale, s’est faite d’une manière bancale et marqué par un divisionnisme dangereux. Le discours qui, encore une fois, a fait la part belle au clash, s’est longuement attardé sur les remontrances adressés “aux traites”. Mais le danger ne s’arrête pas à la stigmatisation d’acteurs politiques qui comploteraient contre le pays avec d’obscures forces étrangères. »
Le mépris affiché contre les élites glisse dangereusement vers la haine de classe
Kerim Bouzouita estime que le mépris affiché contre les élites glisse dangereusement vers la haine de classe. Avec des propos comme: « Le 14 janvier était le jour de l’avortement de la révolution »; ou encore « ceux qui manifestent devant le théâtre, lieu de la danse ». Le discours nourri une haine des classes qui finira par se manifester tôt ou tard dans le corps social. De la même manière dont ont été divisés et opposés les Tunisiens entre 2011 et 2013, avec la question de l’identité religieuse.
Et de conclure: « Tous nos aspirants leaders politiques devraient comprendre qu’il y a une immense différence entre regrouper les foules autour d’une conjugaison commune des haines; et unir un peuple derrière un idéal commun. »