La France est en colère. Furieuse. Furibonde. Son sang est en ébullition depuis le 15 septembre. La France a mal. Elle a reçu ce jour là « un coup de poignard dans le dos ». Non pas d’un terroriste, ni d’un ennemi, ni d’un Etat voyou. C’est l’Amérique qui planté le poignard dans le dos de la France. L’Amie, l’alliée, la nation que la France a aidée à se libérer du colonialisme britannique et à s’assurer une place parmi les pays indépendants.
La France est amèrement déçue. Elle annule un grand gala à Washington en l’honneur de la vieille amitié franco-américaine. Une amitié solidement établie et qui dure depuis près de deux siècles et demi. Depuis le jour où la France a fourni soldats, matériel et prêts aux insurgés américains contre la couronne britannique.
La France se sent trahie. Elle rappelle son ambassadeur à Washington « pour consultations ». Une première depuis la création de l’Etat fédéral américain et l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays.
La France a raison de sortir de ses gonds. Le coup bas qui lui a été infligé par le trio anglo-saxon (Australie, Etats-Unis, Royaume-Uni) l’a déstabilisée. Il a pris l’allure d’un choc auquel elle n’était pas préparée. Car le trio anglo-saxon a tout manigancé dans le secret avant de rendre la chose publique le 15 septembre.
De quoi s’agit-il? En 2016, la France, écartant les concurrents allemand et japonais, a réussi à signer « l’accord du siècle » avec l’Australie. Un contrat de 66 milliards de dollars pour la construction de 12 sous-marins conventionnels. Une somme faramineuse de nature à donner un coup de fouet substantiel à l’économie française.
La nouvelle situation régionale n’est plus compatible avec des sous-marins conventionnels et nécessite des sous-marins à propulsion nucléaire
Le 15 septembre, le Premier ministre australien Scott Morrisson annonce l’annulation du contrat avec la France. Car, explique-t-il doctement, « la nouvelle situation régionale n’est plus compatible avec des sous-marins conventionnels et nécessite des sous-marins à propulsion nucléaire ». Et qui se chargera de la construction des sous-marins à propulsion nucléaire? Les Etats-Unis évidemment avec la coopération de la Grande Bretagne.
La France réagit en rappelant son ambassadeur à Canberra. A un journaliste qui lui demandait pourquoi la France a-t-elle rappelé ses ambassadeurs à Washington et Canberra et pas celui basé à Londres, le patron de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian répond.
Inutile de rappeler notre ambassadeur à Londres, car nous sommes habitués au comportement opportuniste de la Grande Bretagne…
En fait, la France est la première victime de la nouvelle donne géostratégique qui est en train de s’établir dans l’immense zone Pacifique – Océan indien. Une nouvelle donne conçue et réalisée par le trio anglo-saxon à travers « AUKUS ». Il s’agit d’une structure politico-militaire fraichement créée, dont le nom est composé des initiales des trois pays membres: Australia, United Kingdom, United States.
Il va sans dire que ce nouvel axe créé par Washington, Londres et Canberra est orienté contre la Chine. Elle est désignée désormais par le trio anglo-saxon comme « la plus grande menace pour l’Occident ». La diplomatie américano-britannique tourne à plein régime maintenant pour attirer vers ce nouvel axe les pays voisins de la Chine comme le Japon, la Corée du sud, l’Indonésie, les Philippines etc.
Et l’Europe alors? Bien avant la crise franco-anglosaxonne, le débat faisait rage parmi les puissances européennes sur la question de savoir si le Vieux Continent devrait prendre en charge sa propre défense ou continuer à s’abriter sous le parapluie américain? La crise va-t-elle intensifier la détermination de la France à pousser vers une autonomie militaro-stratégique de l’Europe?
Une telle tâche est au dessus des capacités de la France quand on sait l’obéissance aveugle des pays de l’Europe de l’Est aux ordres de Washington. Quand on sait aussi les gros intérêts économiques et financiers qui lient plusieurs pays européens et les Etats-Unis.
Alors, la question essentielle à laquelle seul l’avenir répondra est la suivante: l’Europe finira-t-elle, elle aussi, par considérer la Chine comme « la principale menace pour l’Occident » et rejoindra l’AUKUS? Ou gardera-t-elle ses distances avec cette approche conflictuelle initiée par le trio anglo-saxon en privilégiant l’approche coopérative avec la Chine?