Le décret émis hier par le Président de la République Kaïs Saïed n’est pas sans conséquences sur l’économie de la Tunisie. Nous ne sommes pas là pour commenter la légitimité ou la constitutionnalité de ces mesures. Mais pour une analyse prospective de ce qui nous attend.
La Tunisie n’est pas une nation isolée du reste du monde. Elle est située dans une zone très sensible. A ses frontières est, il y a la Libye avec ses richesses pétrolières, son marché de reconstruction de 200 milliards de dollars. Et, surtout, des milliers de terroristes qui attendent le bon moment pour surgir. A l’ouest, il y a l’Algérie, un pays sur lequel la Tunisie peut compter.
Contexte régional fragile
Mais Alger a vu ses relations avec Rabat se dégrader et elle vient de fermer son espace aérien face aux avions marocains. Au nord, il y a l’Union Européenne qui fait des pressions pour limiter l’immigration clandestine en provenance des pays du Sud et qui n’a pas envie de voir la région instable. Déjà, ce qui s’est passé en Afghanistan et la résurrection des talibans va lui causer un casse-tête au Sahel. Si les pays du Maghreb sont fragilisés, c’est que les djihadistes vont se retrouver bientôt à ses frontières. C’est pourquoi les Européens sont venus à l’aide de la Tunisie après 2011. C’était un bon modèle qui montre que la région est prête à passer sous un régime démocratique.
Mais ce qui s’est passé depuis le 25 juillet a semé le trouble. Et la série de visites et de communiqués publiés par l’Union Européenne et les pays du G7 montrent à quel point la situation à Tunis inquiète.
L’exercice budgétaire 2022 s’annonce compliqué pour la Tunisie
Si le Palais de Carthage avait annoncé auparavant que la Tunisie n’accepte pas d’être à la place de l’élève qui reçoit les cours et attend ensuite la note; la réalité économique est bien autre. Nous avons besoin d’être soutenu financièrement par les institutions financières internationales et par les grands pays. La décision de ces bailleurs de fonds n’est pas totalement économique et il y a une composante politique.
Alors, si le renforcement des pouvoirs du Président, même pour une durée bien déterminée, est considéré comme une atteinte à la démocratie, c’est que la Tunisie perdra tout appui auprès du FMI.
Si nous avons les moyens de clôturer l’exercice budgétaire de 2021 sans grandes difficultés, 2022 ne sera guère une année facile. Le service de dette extérieure sera de 2,032 milliards de dollars.
Ainsi, sans un accord avec le FMI, il serait difficile de pouvoir collecter ce montant. Cela sans compter que nous avons besoin d’autre ressources de fonctionnement normal de l’Etat. Et ce, pour importer des denrées alimentaires, des médicaments, du carburant, des produits de première nécessité. D’où allons-nous pouvoir ramener ces milliards de dollars, sans l’aval de nos principaux créanciers?
Les hypothèses de financement sont attendues dans le projet de la Loi de Finances 2022. Il sera promulgué par le Président de la République après le décret d’hier soir. Les techniciens du Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’Investissement sont certainement en train d’exploiter les différentes pistes pour boucher les trous. Mais ils ne peuvent pas programmer une sortie sur les marchés internationaux à titre d’exemple. Seule la diplomatie pourrait sauver la mise, avec un appui par les pays du Golfe qui se sont montrés satisfaits des changements politiques récents.
Flou total
Même au niveau interne, rien n’est clair. Est-ce qu’il y aura de nouvelles taxes ou une hausse conjoncturelle des impôts? Quels sont les secteurs qui seraient visés? Ce flou va se refléter en une décélération des investissements et de la création d’emplois. Pour le moment, la vision économique du Président n’est pas claire. Elle est axée sur la lutte contre la hausse des prix, mais nous n’avons rien vu côté relance.
Maintenant, le pays va entrer dans une campagne électorale. Et l’histoire récente nous a appris que cette période est marquée par une paralysie économique. Encore du temps perdu.