La nomination de Mme Nejla Bouden à la Kasbah est une première dans le monde arabe et un sujet de fierté pour l’ensemble des Tunisiens. Mais sera-t-elle une autonome cheffe de gouvernement? Ou un Premier ministre sous l’autorité sourcilleuse du président de la République? That is the question.
Une dame à la Kasbah? Ne boudons pas notre plaisir de constater avec fierté que la Tunisie est le premier pays arabe ayant nommé une femme cheffe de gouvernement. Et que notre pays intégrera in facto le club très fermé des 21 cheffes d’Etat et de gouvernement dans le monde. Tout un symbole.
La fille de Bourguiba
Et saluons au passage l’initiative du président de la République que l’on dit conservateur dans l’âme. Car, cela va bien au-delà du message de modernité envoyé au monde entier. Lequel ouvre de nouvelles perspectives au retour de la confiance des bailleurs de fonds en la capacité de la Tunisie- petite par sa géographie, grande par son Histoire- à rebondir tel le Sphinx qui renaît de ses cendres.
En effet, la nomination de Nejla Bouden aux plus hautes fonctions de l’Etat nous remet en mémoire la contribution de la femme tunisienne, dès l’aube de l’indépendance, à l’édification de l’Etat moderne voulu et conçu par le père de la Nation, Habib Bourguiba.
De plus, sur le plan sociétal, l’accès d’une femme au plus hautes marches du pouvoir remet en question toutes les inégalités inacceptables que subit la femme tunisienne; dont la plus flagrante est l’inégalité face à l’héritage.
Honneur et reconnaissance
« Nous sommes face à une responsabilité historique! Une femme cheffe de gouvernement pour la première fois. C’est un grand honneur pour la Tunisie et une reconnaissance envers la femme tunisienne. La femme est capable de diriger avec succès de la même façon que l’homme. Que Dieu vous bénisse ». Ainsi, s’adressait le président de la République Kaïs Saïed à Nejla Bouden, le 29 septembre 2021 au palais de Carthage.
Le président a d’autre part chargé la nouvelle cheffe de gouvernement de présenter une proposition relative aux nouveaux membres du gouvernement dans les heures et jours qui suivent. « Je souhaite que cela se passe rapidement afin d’entamer notre travail… Ceci aura lieu dans le cadre du respect de la loi… Vous serez la première femme à la tête d’un gouvernement et non-pas un simple membre de ce dernier ». Ainsi soulignait-il, affirmant que le nouveau gouvernement aura pour priorités de lutter contre la corruption et de répondre aux attentes des Tunisiens.
Ambigüité
Que retenir du discours présidentiel? Que le Président, un juriste chevronné, répétait à deux reprises, lors de l’audience accordée à la nouvelle élue, qu’il s’agit de la nomination d’une cheffe de gouvernement. Et qu’elle ne sera pas « un simple membre de ce dernier ». Excluant ainsi de facto sa désignation en tant que Premier ministre.
Mais aura-t-elle les mains libres pour former son équipe gouvernementale? Affirmant ainsi son autonomie et s’affranchissant de la tutelle pesante de Carthage. Ou se contentera-t-elle de présenter « une proposition relative aux nouveaux membres du gouvernement » au chef de l’Etat qui aura le dernier mot?
D’autant plus que les pouvoirs octroyés au chef de gouvernement ont été considérablement amoindris. Et ce, par les « mesures exceptionnelles » adoptées par le Président le 22 septembre.
En effet, le fameux décret présidentiel n° 2021-117 du 22 septembre 2021, relatif aux mesures exceptionnelles, stipule que le Président de la République « préside le Conseil des ministres et il peut déléguer sa présidence au Chef du Gouvernement (Art.10) ».
En outre, l’article 16 indique que le Gouvernement « se compose du Chef du Gouvernement, de ministres et de secrétaires d’Etat nommés par le Président de la République ».
Que le Gouvernement « veille à l’exécution de la politique générale de l’Etat, conformément aux directives et aux choix définis par le Président de la République (Art. 17) ».
Et qu’enfin, selon l’article 19, « le Chef du Gouvernement dirige et coordonne l’action du Gouvernement. Il dispose de l’administration aux fins de l’exécution des orientations et choix définis par le Président de la République. Il supplée, le cas échéant, le Président de la République dans la présidence du Conseil des ministres ».
Simple collaboratrice?
Disons pour conclure, et sans enter dans les dédales juridiques, que le décret 117 est marqué par le sceau de l’ambigüité, étant hybride par nature. Car, il indique clairement que le chef de gouvernement « dirige et coordonne l’action du Gouvernement ». Mais qu’il est « responsable de ses actes devant le président de la République ». Réduisant ainsi son rôle à un simple coordinateur de l’action gouvernementale. Un « collaborateur », selon l’expression méprisante de l’ex-président français, Nicolas Sarkozy. Quand il évoquait, en 2017, le rôle du locataire de Matignon de l’époque, François Fillon.
Maigre consolation, quand même, l’article 14 stipule qu’ « en cas de vacance de la Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement absolu, le Chef du Gouvernement est immédiatement investi des fonctions de la Présidence de la République ». Ainsi, le président de l’ARP, Rached Ghannouhi est hors circuit. Douce revanche de Kaïs Saïed.
Enfin, l’universitaire fraichement nommée à la Kasbah aura-elle les nerfs assez solides? Et ce, pour coexister avec le locataire du palais de Carthage enclin aux colères homériques et aux limogeages intempestifs ?
Restons positifs et souhaitons à Mme Bouden bon vent et surtout bon courage.