Le gouvernement de Najla Bouden devra lever rapidement l’ambiguïté sur les aspects techniques du projet de loi de finances complémentaire (PLFC) pour l’exercice 2021 et du projet de budget de l’Etat pour l’année 2022. C’est ce qu’indique le professeur universitaire en économie, Ridha Chkondali.
Cette ambigüité concerne, notamment, les hypothèses retenues et les lignes directrices, a expliqué Ridha Chkondali. L’objectif est d’éviter tout contraste entre le discours interne et les exigences des négociations avec les bailleurs de fonds.
Dans une interview accordée à l’Agence TAP, Ridha Chkondali a rappelé que la scène politique en Tunisie a connu, depuis le 25 juillet 2021, des changements profonds, suite à l’annonce par le Chef de l’Etat, Kais Saïed, de mesures exceptionnelles qui ont gelé le processus habituel d’examen du budget de l’Etat, avec la suspension des travaux de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) et le limogeage du gouvernement de Hichem Méchichi qui a élaboré le budget de 2021, et ont changé l’ordre des priorités selon la vision de la présidence.
Pour Ridha Chkondali, au cours de ses entretiens avec les responsables des organisations, ou lors de ses visites sur le terrain, ou encore lors de sa rencontre avec la Cheffe du gouvernement, Saied a poussé vers de nouvelles priorités ; à savoir la lutte contre la corruption, la baisse des prix et la révision de la politique monétaire de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
La Tunisie est sur le point de clôturer l’année 2021 sans disposer d’un budget complémentaire. Notamment après la hausse vertigineuse des cours internationaux du pétrole, dont le taux a atteint les 75 dollars (environ 231 dinars), souligne l’expert. Pour lui, cette courbe ascendante des prix sur le marché mondial a complètement chambardé les hypothèses sur lesquelles a été élaboré le budget, provoquant un gap financier de près de 8,8 milliards de dinars.
Budget 2021 : nécessité de rectifier le tir
Avant de parler de la loi de finances et du budget de l’Etat pour l’exercice 2022, le gouvernement de Najla Bouden devra réfléchir à la manière de clôturer le budget de l’Etat pour l’exercice en cours, avec une loi de finances complémentaire ou, plutôt, une correction des hypothèses irréalistes qui ont caractérisé la loi de finances originale de 2021, estime Chkondali.
Et d’ajouter que sur la base des taux de croissance économique négatifs pour le premier trimestre 2021, l’hypothèse d’une croissance de 4% semble « impossible » à atteindre.
Au moment de l’élaboration du projet de loi de finances de 2021, la Tunisie s’est appuyée sur un taux annuel du pétrole de 45 dollars, sauf que les prix du pétrole brut ont bondi ces derniers mois sur le marché international pour dépasser les 80 dollars. Cela a porté un coup dur aux prévisions sur lesquelles reposait la loi initiale du budget de l’État.
L’incertitude politique et sociale a un coût
D’après lui, l’absence d’un gouvernement depuis plus de deux mois et l’incertitude politique et sociale peuvent compromettre la mobilisation des ressources fiscales de 2,5 milliards de dinars par mois, afin de combler le déficit financier du budget de l’Etat.
L’expert estime que la poursuite de la politique budgétaire d’autorité jusqu’à fin 2021 et le maintien des finances publiques sur la même trajectoire de la période précédant le 25 juillet dernier pourraient réduire le trou budgétaire à 5,2 milliards de dinars.
Budget 2022 : un projet qui doit faire l’objet d’un consensus
L’élaboration du projet de loi de 2021 requiert un large consensus sur des orientations générales. Ce projet, a-t-il dit, peut s’appuyer sur le document d’orientation fourni par le gouvernement de Hichem Mechichi, qui prévoit la restructuration des établissements publics et la réforme de la fonction publique et du système de compensation.
Pour rappel, le gouvernement Mechichi a entamé, en mai dernier, des négociations autour de ces axes de réforme avec le Fonds Monétaire International (FMI), sauf qu’elles n’ont abouti à aucun accord de financement. Selon Chkondali, le président de la République, Kais Saied, veut mettre en place des politiques économiques qui « semblent être aux antipodes des accords conclus précédemment avec le FMI. Notamment en ce qui concerne la politique monétaire, le financement direct du budget de l’Etat et l’augmentation du taux d’intérêt.
Et de poursuivre que la Chargée de gestion du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’Investissement, Sihem Boughdiri Namsia, adoptera certaines orientations du contenu des discours du Président de la République, lequel repose sur trois principaux sujets, à savoir :
– La lutte contre la corruption ;
– La lutte contre la hausse des prix ;
– Et la révision de la politique monétaire de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Notamment en ce qui concerne le financement direct du budget de l’Etat et le ciblage de l’inflation en augmentant les taux d’intérêt, selon ses dires.
Chkondali a souligné que l’appel lancé par le Président de la République, Kais Saïed, aux responsables de la BCT et de l’Association professionnelle tunisienne des banques et établissements financiers (APTBEF) pour réduire le taux d’intérêt et à l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) pour baisser les prix, ainsi que les visites d’inspection à certaines institutions pour lutter contre la corruption, pourraient constituer le thème principal du document d’orientation du Budget de l’Etat pour l’année 2022.
Cependant, il a affirmé qu’il faut apporter des solutions opérationnelles appropriées aux grands dossiers en suspens, à savoir la réforme du système du subvention, de la fonction publique et des institutions publiques. Surtout que ceci constitue l’élément le plus important pour convaincre le Fonds monétaire international (FMI) de relancer de nouveau les négociations avec le gouvernement de Najla Bouden.
«Cette relance est nécessaire pour les finances publiques. Et ce, dans une conjoncture difficile caractérisée par une baisse significative de la notation souveraine de l’Etat tunisien et une perte de confiance dans les marchés internationaux et nationaux, avec la réticence des banques tunisiennes à souscrire aux bons du Trésor à moyen et long terme », a-t-il souligné.
Ridha Chkondali : nécessité d’éviter les hypothèses erronées
Ridha Chkondali a appelé le gouvernement Bouden à être prudent dans le choix d’hypothèses réalistes en vue de la préparation du projet de budget de l’État pour l’année 2022. Et ce, afin d’éviter les coûts financiers et économiques causés par des hypothèses erronées, dont les conséquences sont supportées par le citoyen au niveau de son pouvoir d’achat.
Le prochain gouvernement devra être plus prudent dans le choix du prix de référence mondial du baril de pétrole afin d’éviter les répercussions financières désastreuses sur le budget de l’État au cas où les prix sont orientés à l’encontre des prévisions.
Il a affirmé, en outre, que pour réussir la loi de finances et le budget de l’Etat pour l’année 2022, il est nécessaire de créer un climat propice. Et ce, pour assurer la relance des investissements privés. L’objectif étant de réaliser des taux de croissance significatifs, de créer des postes d’emploi et de mobiliser d’importantes ressources fiscales pour l’État.
Par ailleurs, Ridha Chkondali a appelé à adopter un nouveau discours. Et ce, pour rassembler les Tunisiens et ouvrir un dialogue avec toutes les composantes politiques et les organisations sociales, au lieu du discours de division qui règne dans la rue.
Avec TAP