Un vrai séisme dans le milieu, car sa rédaction mobilisait plus de 60 experts de la Banque et la contribution de plus de 2000 intervenants portant sur 190 économies. La collecte des données concernait plus de 3000 réformes de la réglementation des affaires.
Pour les bénéficiaires des contenus du rapport, la question est de connaître la signification de la décision de la Banque. Et ce, quant à la pertinence et la crédibilité des indicateurs des anciens rapports, voire des autres activités. En plus des conseils prodigués aux pays partenaires; ainsi que sur ce qui va advenir du suivi du climat des affaires.
Une contestation récurrente de la pertinence de Doing Business et des irrégularités répétées
La contestation de la pertinence des indicateurs de Doing Business a commencé dès la parution du premier rapport. Certains y ont vu le reflet d’une conception néo-libérale du développement.
Cette attitude est fondée sur la crainte de voir que plus une économie est dirigée et/ou réglementée, moins bons seront les indicateurs de Doing Business. Il s’ensuit naturellement qu’il faudrait plutôt déréglementer et priver les Etats d’outils de mise en œuvre de politique d’orientation de l’investissement et de l’activité économique. Cet argument sous-estime l’intérêt de rendre transparent l’arbitrage que font les politiques publiques entre le recours à des instruments d’administration de l’économie et leurs implications en termes d’entraves au développement des affaires.
La polémique sur la pertinence des indicateurs concerne aussi la méthodologie d’agrégation des indicateurs et de ses implications sur le classement des pays. Le cas du Chili en particulier sera mis en avant pour jeter un doute sur la pertinence voire la crédibilité de ces méthodes et de leurs changements d’une année à l’autre.
En effet, ce qui est relevé dans le cas du Chili, c’est son classement qui va connaitre une oscillation corrélée à l’alternance du pouvoir entre la présidence socialiste (2006-2009 et ensuite 2014-2017) et la présidence conservatrice. On notera que pour les années où le classement global du Chili a fortement baissé, le score des différents indicateurs de Doing Business pour ce pays, n’ont pas toujours baissé. Ou, s’il y a eu baisse pour l’un, il y a eu compensation par l’autre. Ce qui peut donner raison à l’argument des experts de la Banque qui justifient la baisse dans le classement du Chili par la plus grande agressivité des autres pays.
Paul M. Romer, prix Nobel d’Economie, va présenter en janvier 2018, après avoir quitté la Banque, ses excuses au Chili et à d’autres pays affectés par les modifications de méthodologie à l’origine d’une partie de l’évolution du classement. Il expliquera ensuite qu’il ne met pas en cause une manipulation (politique) des chiffres et que les changements de méthodologie étaient justifiés.
Le problème, d’après lui, réside dans l’insuffisance de l’explication de la signification des chiffres et de la baisse du classement. Ce n’est donc pas l’intégrité que met en cause la critique de P. M. Romer. Un rapport d’audit externe va d’ailleurs confirmer l’absence de preuves concernant la manipulation des chiffres pour le cas du Chili.
Il en sera autrement pour les cas des rapports de 2018 et 2020 qui ont provoqué l’abandon le 16 septembre 2021 par la Banque Mondiale de Doing Business, alors qu’il était encore l’un de ses produits phares. La décision de la Banque est d’étayer plusieurs rapports d’audit. Le dernier et le plus décisif étant celui qu’elle a commandé au cabinet juridique international WilmerHale, remis le 15 septembre 2021.
Auparavant, deux missions internes, mais indépendantes, d’audit du processus de collecte et de traitement des données, d’une part, et du recensement des irrégularités, d’autre part, sur la période allant de 2016-2020, ont été menées par la Banque. Les résultats ont été publiés respectivement les 8 et 16 décembre 2020. Les conclusions sont sans appel:
i) Porosité du processus menant depuis la revue par les experts jusqu’à l’étape de publication du rapport qui fait que des interventions illégitimes auraient eu lieu. ii) Quatre irrégularités en tout sont établies, une pour le rapport de 2018, à propos de la Chine, et trois autres pour le rapport de 2020 à propos de l’Arabie saoudite, l’Azerbaïdjan et les Emirats arabes unis.
Le processus des irrégularités s’est déroulé de la même façon en 2018 et en 2020. Une version du rapport – avec scores et classement – a été élaborée par l’équipe d’experts de Doing Business. Une intervention d’un ou plusieurs hauts fonctionnaires de la Banque va mener à une révision que ne justifient, selon les audits, ni la méthodologie, ni la démarche adoptée par les experts du rapport.
Les irrégularités dans les rapports de 2018 et de 2020 montrent qu’une véritable brèche a été ouverte dans le système d’élaboration des rapports. Ce n’est pas tant le nombre d’irrégularités qui est significatif que le rang élevé des responsables et leur implication active ou passive.
Le futur du suivi de la qualité du climat des affaires en question
Les irrégularités constatées sont graves. Elles se sont même répétées avec plus de légèreté. La pertinence de la question de rendre plus transparent le coût des procédures administratives pour les affaires, objet central de Doing Business, n’est pourtant pas mise en cause. Même s’il peut y avoir débat sur leur raison d’être, en particulier pour ce qui est du besoin d’instruments – administratifs – pour la cohérence et l’efficacité de la politique économique de chaque pays. A partir de ce double constat, deux options ont été mises à la disposition de la Banque Mondiale pour le futur du suivi de la qualité du climat des affaires.
La première, proposée par le rapport WilmerHale d’audit du 15 septembre. Elle porte sur les mesures qui empêcheraient que de telles irrégularités se reproduisent dans le futur. Les recommandations de l’auditeur concernent les procédures et la culture de la Banque.
Quatre axes en particulier sont à renforcer selon les auteurs de l’audit:
- Formaliser plus les procédures au niveau de l’équipe d’expert de Doing Business;
- Protéger le produit de ces experts de toute intervention externe de la part de l’exécutif de la Banque, y compris la non diffusion du classement avant la publication du rapport;
- Mettre à la disposition des chercheurs et autres parties prenantes davantage d’informations sur les données utilisées de manière à permettre une vérification grand public et à grande échelle;
- Diminuer la fragilité de la position du personnel de l’équipe d’experts face à l’exécutif, tout en renforçant l’information sur l’éthique et sa mise en pratique.
La deuxième option est celle adoptée par la Banque elle-même. Elle met fin à Doing Business, tout en promettant de travailler pour arrêter une nouvelle approche du suivi du climat de l’investissement et des affaires. La réaction extrême de la Banque pourrait s’expliquer par le fait que certains des auteurs des irrégularités- par leur implication active ou par leur attitude passive- se situent à de très hauts niveaux de responsabilité de la Banque Mondiale [1]. Si telle est la motivation de sa réaction, elle serait bien en-deçà de ce qui est nécessaire de faire. Il faudrait revoir alors tous les aspects du fonctionnement de la Banque- fiabilité des données et autres décisions- et ne pas se limiter à ce qui s’est passé à propos de Doing Business. Ce serait jeter le bébé et garder l’eau du bain.
Une troisième option aurait pu être envisagée pour préserver les acquis du suivi du climat des affaires tout en tirant les leçons à partir de la dérive qui a eu lieu. Elle se justifie largement par le chemin qui reste encore à faire en matière de climat des affaires. Les données de 2020 montrent que la moyenne de score des pays pour plusieurs indicateurs est encore éloignée du celle du meilleur pays affichant le score le plus élevé. Le déficit en matière de qualité de climat des affaires est encore plus préoccupant dans le cas de la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne.
C’est le cas en particulier pour la résolution de l’insolvabilité, l’exécution des contrats, l’obtention de crédit et la protection des investisseurs minoritaires. Pour la création d’entreprises, le score moyen et le score maximal sont proches. En d’autres termes, l’investisseur a une facilité relative au moment de créer l’entreprise, mais rencontrerait des difficultés pour se faire financer et pour obtenir ses droits en cas de litiges.
Cette troisième option consisterait alors à suivre les recommandations du rapport WilmerHale par la mise en place rapide de garde-fous. Tout en continuant la publication de la série de rapports Doing Business. Simultanément, des ajustements de fond seront apportés sur le contenu du suivi du climat des affaires pour le faire revenir à son objectif central- comme l’appréciation du poids des procédures administratives-, au lieu de laisser la question du classement l’emporter sur le reste.
Dans cette option, on prendrait alors en considération plusieurs facteurs en introduisant progressivement et avec célérité, des orientations additionnelles. L’une des plus importantes, pour tirer les leçons du cas du Chili, porte sur l’élargissement du champ du suivi du climat des affaires à la prise en compte- ne serait-ce que par le signalement- des éléments qui pourraient compenser et justifier le poids des procédures administratives.
Un deuxième facteur à prendre en considération serait le poids de tout ce qui n’est pas productif, qui ne fait pas partie de l’utilité des biens et services aux consommateurs ou de la consistance de la richesse en elle-même. Même si ces éléments- non productifs- peuvent être indispensables à la création de richesses.
D’autres facteurs seraient également à apprécier, pour compléter le tableau du climat des affaires: le degré et la nature de la concurrence sur les marchés des biens et services; le poids des incitations et autres soutiens directs ou indirects. De manière à relever les sources de la création de richesse de toute autre opération de transfert ou de protection.
Au niveau de l’interprétation, il sera important de ne pas donner à penser qu’il s’agit de condamner les politiques économiques qui peuvent justifier les unes ou les autres de ces mesures. L’objectif sera toujours celui de rendre compte de la manière la plus transparente possible de l’apport et du coût de ces situations.
Enfin, il serait tout aussi intéressant d’apprécier les pratiques des affaires. C’est-à-dire à la fois la réalité de mise en œuvre effective des dispositions réglementaires d’une part. Par exemple l’applicabilité des décisions de justice pour les litiges du milieu des affaire. Et, d’autre part, au niveau de la nature et la qualité des pratiques commerciales entre entreprises, en termes de relation fournisseurs/clients, par exemple.
Souvent, c’est au niveau du dernier maillon de la chaîne d’application de la réglementation et des relations commerciales que se posent les obstacles au bon fonctionnement de l’entreprise.
En attendant la mise en œuvre de la nouvelle approche, il serait alors indiqué de veiller à ne pas allonger la période de rupture du suivi de la qualité du climat des affaires. C’est ainsi que sera préservé le bébé, après avoir jeté l’eau du bain.
[1] Parmi les responsables cités par le rapport Wilmerhale, l’on trouve le nom de la Directrice générale de la Banque, devenue par la suite Directrice générale du Fonds Monétaire International, celui de l’un des concepteurs de Doing Business, un chef de cabinet du Président de la Banque qui sera par la suite responsable de la région MENA, etc.