Une nouvelle enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) sur les paradis fiscaux et les sociétés offshore a été rendue publique. Les millions de documents confidentiels qui ont été examinés révèlent que de nombreuses personnalités fortunées exploitent les opportunités offertes par les paradis fiscaux pour échapper à l’impôt de leur pays d’origine. Malgré le volontarisme affiché – au niveau national et international, par les organisations (inter)étatiques comme par les entreprises – en matière de lutte contre la fraude fiscale, ce type de pratique perdure. A cause notamment de la difficulté à saisir ce phénomène complexe, multiforme, difficilement mesurable. Pourtant c’est un enjeu de justice, et pas seulement de légalité, qui se pose: ce sont ceux qui ont le plus besoin de ces recettes qui payent le coût de telles pratiques.
Les pratiques d’évasion fiscale mises en lumière par les « Pandora Papers » (qui font suite aux « Offshore Leaks » en 2013, aux « LuxLeaks » en 2014, aux « Panama Papers » en 2016, aux « Paradise Papers » en 2017), confirment une sorte la défiance d’une oligarchie à l’égard du respect du droit, du moins le respect de l’idée de contribution à l’effort de solidarité nationale. Les individus haut placés pris en flagrant délit de fraude fiscale font « prospérer » leurs capitaux dans une myriade de sociétés offshore, basées dans des paradis fiscaux.
Entre légalité et illégalité des techniques d’évasion fiscale
Les « montages financiers » dévoilés par le consortium international de journalistes sont sophistiqués, mais pas forcément illégaux. Derrière des flux financiers réputés pour leur opacité, deux types d’opérations alternant ou conjuguant optimisation fiscale et fraude fiscale, sont en effet à distinguer de ce point de vue. Ainsi, si certains contribuables cèdent à l’optimisation fiscale afin de réduire leur imposition, ces techniques demeurent légales. Et ce, contrairement au recours à des structures opaques situées dans certains pays en vue de dissimuler des avoirs ou des revenus pour mieux échapper à ses obligations en matière d’imposition.
Un coût financier et symbolique pour la collectivité
Derrière les montages financiers qui constituent le phénomène d’évasion sociale, c’est près de 11 300 milliards de dollars (9 400 milliards d’euros) de manque à gagner pour les Etats et donc pour leur peuple. Il s’agit de sommes colossales. Mais l’enjeu n’est pas que d’ordre économique et financier. Il est foncièrement politique.
D’abord, des personnes riches et des multinationales exploitent l’opacité des paradis fiscaux pour se soustraire à l’impôt. Et priver ainsi des pays pauvres de moyens qui leur permettraient d’assurer des services publics essentiels. L’impôt est une ressource essentielle de l’État, qui s’est imposé comme un instrument incontournable du financement de son fonctionnement et de son action économique (en faveur de l’emploi via l’exonération pour certaines entreprises, en faveur de la consommation, de l’épargne, de l’investissement, etc.) et sociale (choix de la nature et de la « progressivité » de l’imposition, redistribution via le financement de dépenses en faveur de la lutte contre la pauvreté, financement des biens et services, etc.).
Ensuite, l’acceptabilité sociale des pratiques d’évasion fiscale baisse pour des populations de plus en plus informées de ces dérives. Face à ce fléau, la meilleure arme – au-delà des dispositifs juridiques mis en place – demeure le contrôle démocratique de citoyens attentifs au respect de l’égalité devant la loi et devant l’impôt.
Enfin, l’évasion fiscale creuse l’écart entre les riches et les pauvres. En effet, au sommet, les riches s’enrichissent de façon vertigineuse; alors que des millions de personnes à travers le monde continuent d’être plongés dans la pauvreté.
Repenser l’interventionnisme fiscal de l’Etat ?
Certains libéraux tentent d’expliquer ce type de comportements abusifs par les montants des impositions qui pèsent sur les particuliers comme sur les entreprises. L’interventionnisme fiscal de l’État et les politiques fiscales consistant à augmenter les impôts au-delà d’un certain taux de prélèvement sont d’ailleurs au cœur des travaux de l’économiste Arthur Laffer. Résumée par la formule « Trop d’impôt tue l’impôt », la « courbe de Laffer » repose sur le paradoxe présumé de la fiscalité. A savoir que dès lors qu’il dépasse un certain seuil, l’impôt saperait l’économie de marché et le système fiscal dans son entier…
Si les anarcho-capitalistes américains du XIXème siècle assimilaient l’impôt à un « vol », la critique de l’usage extensif de cet outil fiscal est l’un des piliers de la pensée libérale. Dans son dernier ouvrage, La Philosophie de l’impôt, paru en 2017, le philosophe Philippe Nemo questionne, à travers un prisme libéral, la nature et fonction de l’impôt, pour mieux en critiquer la vocation redistributive. C’est le principe même de l’impôt progressif (introduit en France au début du XXème siècle) qui est mis en cause, car il aurait dépassé un seuil raisonnable.