Le Président de la République Kaïs Saïed n’a pas hésité à critiquer publiquement les agences de notation. « Qu’ils nous classent en Y » (la dernière lettre de l’alphabet arabe). Pour le Président, ces agences font pression sur les pays et leur attribuent de bonnes notes. Et ce, s’ils s’alignent politiquement sur certaines positions, au détriment de leur souveraineté nationale.
Ce que le locataire du Palais de Carthage a dit n’est pas tout à fait vrai vis-à-vis de la notation; mais n’est pas également erroné.
La composante qualitative est le principal danger
Une notation passe en fait par deux principales phases. Dans la première, les techniciens interviennent via une analyse quantitative profonde des comptes nationaux en appliquant leurs propres paramètres.
Cette analyse est complétée par une autre qualitative, sous forme d’entretiens avec les responsables. Et ce, afin d’avoir une idée sur les politiques économiques et sociales envisagées. La pondération de cette partie a pris une autre dimension avec l’intégration des normes ESG dans les modèles. Cette évolution n’est pas en faveur de la Tunisie depuis longtemps, bien avant le 25 juillet.
En termes de protection de l’environnement, nous sommes à la traîne. Selon le dernier rapport de la Banque Mondiale, l’énergie de la Tunisie provient de sources émettrices de carbone à hauteur de 73%. En matière de politique sociale, il n’y a pas encore une vraie stratégie de développement inclusif. Les intentions sont bien là, les plans sont excellents, mais ils restent sur papier.
Première menace de dégradation
Pour la gouvernance, c’est encore pire. Nos entreprises publiques sont un casse-tête. Et ce, non seulement du point de vue financier; mais également à cause de leur structures décisionnelles. La majorité d’entre elles n’est pas dotée de conseil d’administration. Et celles qui en disposent n’appliquent pas des principes de base, comme l’indépendance des administrateurs, ou souffrent de l’existence de conflits d’intérêts.
Appliqués au Gouvernement, nous affichons des carences au niveau de la gestion des affaires publiques et des institutions. L’absence de la Cour Constitutionnelle en est le meilleur exemple. Maintenant avec un parlement gelé, la situation n’est pas en notre faveur du point de vue notation; indépendamment de l’opinion générale de la population.
Tous ces éléments font que la partie qualitative, qui était auparavant un point de force grâce à l’étiquette de nouvelle démocratie dans la région, est aujourd’hui la première menace de dégradation. Les aspects financiers ne sont pas réellement nouveaux. Nos finances publiques sont mauvaises depuis des années. Et la tendance observée est la résultante logique de l’évolution de l’économie.
Divergence de points de vue
Dans la seconde phase, le rapport passe entre les mains du comité de notation. Là, c’est l’aspect politique qui prime, car un « B » peut se transformer en un « BB » et vice-versa. Comment? C’est le rôle de la politique et de l’influence d’un pays. Et puisque la partie qualitative pèse désormais 50% dans le modèle de certaines agences, l’appréciation de cette partie par le comité peut facilement changer la note.
Dans le cas tunisien, il y a une grande divergence dans l’interprétation du 25 juillet comme une concrétisation d’une volonté populaire ou un coup d’Etat. C’est le point oublié par la Présidence de la République.
Il fallait faire du lobbying
L’opinion mondiale générale n’est pas très claire. La Tunisie semble être placée dans une zone grise en attendant de voir ce qui se passera. Les ingrédients classiques d’un coup d’Etat, comme le déploiement de l’armée, des emprisonnements, des manifestations réprimées ne sont pas là. Il y a une liberté d’expression, mais ce n’est pas tout.
En l’absence de ce lobbying, la probabilité d’être rétrogradé est significativement plus importante que celle d’être gardé au même rang.
Bien qu’en termes de risque, un « CCC » n’est pas très différent d’un « B », la réaction politique interne ne serait pas en faveur de Saïed. Même si nous allons bénéficier d’un appui financier inédit de certains pays comme avancent certains, la Tunisie paiera cela sous d’autres formes. Le spread explosera et il y a un risque que le dinar perde un peu de terrain. Pour rappel, le dinar a résisté cette année et même gagné 4% par rapport au dollar, l’encours de la dette publique a augmenté de 767 MTND. Qui paiera la facture? Ce n’est autre que le peuple. Nos entreprises qui ont des engagements avec l’étranger auront des difficultés dans leurs opérations courantes extérieures, car le risque pays sera impacté.
Des choix économiques forts s’imposent
Ce sont des points que Carthage doit également prendre en considération. Personne ne conteste la volonté du Président à faire valoir la souveraineté du pays. Mais un homme d’Etat doit également doser ses réactions pour le bien de son pays.
L’échec partiel dans le marketing du 25 juillet auprès des grandes puissances mondiales, comme en témoigne la décision du Sénat d’organiser une audition au sujet de la Tunisie, est en grande partie dû au retard dans la prise des décisions. Maintenant, il faut faire avec et tenter de répondre à la situation par des choix économiques forts. C’est le grand chantier qui attend les nouveaux locataires de la Kasbah.