A travers le choix d’une femme à la tête du gouvernement et d’une féminisation de l’organe exécutif, le président Kaïs Saïed signe un acte historique. Tout en renouant habilement avec la tradition moderniste tunisienne. Ce alors même qu’il cultive une image conservatrice en matière de mœurs sociétales.
Des actes forts qui s’inscrivent aussi dans la continuité du soulèvement populaire de 2010-2011, où la femme a su assumer sa pleine citoyenneté. En revendiquant ainsi pour la dignité et une égalité des droits. Une relative mixité des manifestations de l’époque d’où ont émergé certaines figures emblématiques.
La part des femmes
En effet, même minoritaires, voire marginalisées, des femmes ont pris une part active dans la période de transition depuis 2011. Y compris à des fonctions institutionnelles importantes. De nombreuses femmes ont accédé au pouvoir local à la faveur de la loi sur la parité lors des premières municipales démocratiques en mai 2018.
Pourtant, si la Constitution adoptée en janvier 2014 consacre l’égalité entre hommes et femmes et introduit un objectif de parité dans les assemblées élues, il reste encore de la marge pour atteindre de tels buts. Preuve que la réalité de la condition des femmes tunisiennes ne saurait être idéalisée, tant elle demeure contrastée.
Non seulement les améliorations de la condition des femmes demeurent inégales et partielles; mais elles font face à la résistance d’une frange de la société civile et politique qui porte un regard critique sur la féminisation de l’ordre social.
Des résistances persistantes
L’ordre politique et institutionnel se met progressivement au niveau du statut civil de la femme tunisienne. Le Code du statut personnel (CSP), promulgué le 13 août 1956 par le premier président Habib Bourguiba, cinq mois après l’indépendance, accorde aux Tunisiennes des droits uniques en leur genre dans le monde arabo-musulman. Il abolit la polygamie, interdit la répudiation, institue le divorce judiciaire et fixe l’âge minimum du mariage à 17 ans pour la femme, « sous réserve de son consentement ».
Il a également impulsé une politique volontariste en faveur de l’instruction, à la liberté de choix du conjoint et au mariage civil. Les Tunisiennes ont ainsi bénéficié de l’accès au planning familial, y compris avec droit à l’accès à l’interruption volontaire de grossesse. Ce statut n’a cessé d’évoluer dans le sens d’un renforcement et d’une extension des droits.
Toutefois, des limites et résistances persistent. Preuve des progrès encore à réaliser en la matière, le projet de loi initié par feu le président Béji Caïd Essebsi rendant hommes et femmes égaux en matière d’héritage n’a pas abouti. Car il a fait face à une forte opposition politique et d’une partie substantielle de la société civile.
Insertion professionnelle en progrès mais insuffisante
Pourtant, les Tunisiennes contribuent de plus en plus au développement du pays et à l’enrichissement des patrimoines familiaux. Et ce, grâce à une insertion professionnelle en progrès, mais encore insuffisante. Si dans le monde professionnel, un nombre croissant de femmes occupent aujourd’hui des postes de direction aux plus hauts niveaux de la fonction publique et du secteur privé.
Toutefois, le fléau du chômage frappe durement une jeunesse féminine diplômée, angoissée par le spectre d’une régression de droits difficilement obtenus; mais jamais vraiment acquis… Le chômage touche près de deux fois plus les femmes que les hommes. Et cette disparité est encore plus exacerbée dans les régions de l’intérieur du pays. Ainsi, malgré leurs résultats universitaires, les jeunes femmes pâtissent d’une faible intégration dans la vie économique.
En outre, les crises sociales et autres grèves liées à des réalités locales ont mis en lumière les conditions très difficiles des ouvrières, qui revendiquaient leurs droits face à l’exploitation dont elles pouvaient faire l’objet. Une condition qui n’est pas sans rappeler celle de leur « sœurs des champs », dans les milieux ruraux.
La condition de la femme est en voie de mutation
Par ailleurs, la féminisation de l’ordre politique tunisien conforte le statut pionnier du pays en matière d’émancipation féminine dans un monde arabe où subsiste une profonde inégalité entre les sexes/genres. Toutefois, les sociétés évoluent aussi. La condition féminine dans le monde arabe ne saurait se résumer aux clichés de la femme arabe, victime de l’autorité patriarcale, passive et écrasée par le poids des traditions et des religions.
La condition de la femme est en voie de mutation. Ainsi, la transition démographique s’est traduite par une transformation de la condition de la femme. Celle-ci était vouée, au sortir de l’adolescence, au mariage et à la fécondité. Aujourd’hui, l’accès à l’école et à l’enseignement supérieur se conjugue avec un allongement de la période de célibat. Une nouvelle condition sociale qui appelle un nouveau statut politique.