Dix ans après l’élection démocratique de l’Assemblée constituante en Tunisie, le 23 octobre 2011, vue du monde occidental, la situation politique tunisienne laisse perplexe. Les manifestations d’inquiétude quant aux reculs démocratiques liés au coup de force constitutionnel perpétré par le président K. Saïed tendent à se multiplier. Dans la foulée des positions qu’a prises le Congrès américain, l’Union européenne vient d’exprimer à son tour sa volonté d’un retour à une normalité constitutionnelle et politique via un dialogue national inclusif, ouvert, apte à établir une feuille de route claire.
Le pays censé vivre l’expérience démocratique la plus avancée du monde arabe semble comme aspiré par de vieux démons. De vieux réflexes, conjuguant personnalisation et concentration des pouvoirs. Pourtant, la situation actuelle, dans toute sa complexité et eu égard à certaines subtilités politico-institutionnelles (symbolisées par la nomination sans précédent d’une femme issue de la société civile au poste de Premier ministre), se différencie fondamentalement des épisodes historiques incarnés par les présidences de Bourguiba et Ben Ali. Il n’empêche, les démocraties occidentales suivent l’évolution de la situation politique avec une attention particulière.
La Tunisie sous surveillance politique
Dans une résolution adoptée le 21 octobre dernier sur la situation en Tunisie, les députés du Parlement européen exprimaient leur inquiétude. Et ce, au sujet de la concentration des pouvoirs dans les mains de l’hôte du Palais de Carthage. Ils invoquent ainsi le respect de l’État de droit et donc de la lettre de la Constitution de 2014. Cet appel vise à la fois à souligner la nécessité du retour d’un Parlement en exercice et à éviter de porter atteinte aux droits fondamentaux des individus. Compte tenu des interdictions de déplacement, des dispositifs de surveillance d’État et des assignations à résidence. Sur ce point, il est vrai que la tenue de procès civils devant des juridictions militaires pose problème; en ce sens qu’elle questionne l’indépendance de la justice. Enfin, la résolution par le Parlement européen invite les autorités à sortir de la crise. En ouvrant un dialogue national inclusif où participerait la société civile. Il faut dire que cette dernière a déjà joué un rôle essentiel dans la transition démocratique depuis 2011.
Ce type de prise de position n’est pas très surprenant. L’argument du respect de l’Etat s’est imposé dans le discours juridique et institutionnel international. Ainsi, pour l’ONU, l’Etat de droit favorise la paix interne. Ce principe est aussi un des moyens de la stabilité pacificatrice de la vie nationale.
Le spectre de sanctions matérielles
Si le Parlement européen réitère son soutien à la Tunisie, il tend à le conditionner à un retour au processus démocratique et une reprise des travaux de l’Assemblée. L’UE menace ainsi, avec diplomatie, d’une instrumentalisation politique de l’aide financière. Tout comme les États-Unis ont conditionné leur aide militaire à un retour à la normale des institutions démocratiques. Ainsi qu’à l’évaluation du degré d’implication de l’armée tunisienne dans le coup de force présidentiel.
En outre, les prises de positions des députés européens et de Washington interviennent au moment où les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale sont bloquées.
Ces négociations mettent également le pays sous une forme de surveillance. En effet, des mécanismes d’examen systématique des politiques des Etats se sont multipliés avec le développement des organisations internationales. Et l’introduction des mécanismes par lesquels les organes de ces dernières sont appelés à apprécier le comportement des Etats membres au regard de leurs obligations. Les pouvoirs et les techniques d’inspection, de surveillance et de contrôle de l’organisation sur ses Etats membres se sont diversifiés et améliorés. Même si leur efficacité est variable et demeure le plus souvent problématique.
Par ailleurs, la tonalité de ces prises de position nourrit le spectre de l’ingérence. De quoi crisper le Palais de Carthage; mais aussi un peuple tunisien qui a renoué avec une forme de patriotisme depuis la révolution de 2011. C’est pourquoi, malgré une position financière plus que délicate, ce type de prise de position ressenti comme de l’ingérence peut constituer une source de renforcement de la légitimité et de l’autorité d’un chef de l’Etat dont l’image s’est construite sur le volontarisme et la rectitude.