Il est à craindre que la chose ne devienne un rituel, si elle ne l’est pas déjà. Un dossier de « corruption » sur la table et un ministre statufié devant lui. Le président, rouge de colère, pourfend, dénonce, accuse et menace, avant de donner ses instructions. Un jour, un tel achète une voiture à 500 millions « alors que le peuple crève de faim ». Tel autre reçoit 500 millions de dollars Dieu sait d’où, mais ne les dépose pas dans le Trésor public. Puis, un troisième loue 147 hectares pour 27 000 dinars par ans après avoir déboursé un pot de vin de 80 000 dinars et ainsi de suite. Et l’avancée d’un comportement populiste.
Il est certain que les affaires de corruption et de prévarication, de pillage et de brigandage accumulées durant la décennie noire se comptent par dizaines de milliers. Mais leur traitement nécessite une mobilisation massive de la justice. Et non une dénonciation coléreuse, populiste, servie quotidiennement au peuple au JT de 20 heures.
En effet, le président a une drôle de manière de lutter contre ces fléaux qui gangrènent le pays. Certaines solutions qu’il propose pourraient s’avérer pires que le mal. Par exemple, prenons le dossier des 147 hectares. L’affaire est si grave et impliquant divers acteurs qu’on ne peut la traiter par une simple annulation du contrat. Et ce, sur instructions données au ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières.
Ensuite, le président Saïed va plus loin. Puisqu’il préconise de donner les terres domaniales aux « enfants du peuple » qui les mettront en valeur… Difficile d’accepter l’idée que l’on puisse sérieusement alléger le fléau du chômage et résoudre le problème lancinant des biens fonciers de l’Etat en confiant leur mise en valeur aux « enfants du peuple » !
Il est certain que les affaires de corruption et de prévarication, de pillage et de brigandage accumulées durant la décennie noire se comptent par dizaines de milliers. Mais leur traitement nécessite une mobilisation massive de la justice, et non une dénonciation coléreuse, populiste, servie quotidiennement au peuple au JT de 20 heures.
Ignore-t-il que la mise en valeur des terres agricoles nécessite des investissements, des machines agricoles et des ingénieurs agronomes? Et puis, quand on a des centaines de milliers d’ « enfants du peuple » en chômage, sur quel critère va-t-on choisir les bénéficiaires? Ne risque-t-on pas d’ouvrir la voie à des rivalités violentes entre les « enfants du peuples »? A la jalousie, la haine, l’animosité et la rancœur? Alors, a-t-on des réponses à ces questions légitimes: « Pourquoi lui et pas moi? »; « Pourquoi telle famille et pas telle autre? »
Mais les accès de colère quotidiens du président, devenus un rituel, ne sont pas les seules manifestations d’un populisme rampant dans une atmosphère politique tendue et un contexte économique explosif. Le plus grave est peut-être ce qui nous attend.
Des jeunes sans expériences ni culture politiques
En effet, la campagne d’explication des « vues du président » par des jeunes plein de bonne volonté, mais sans expérience ni culture politiques, n’augure rien de bon. D’ailleurs, M. Ridha Mekki, alias « Lénine », le gourou laïc de ce courant du populisme rampant n’y va pas par quatre chemins.
Ainsi, dans un « post » publié sur sa page officielle, il estime que « le projet de construction de base ou de démocratie de base, qui s’intitule dans la campagne explicative du Président de la République « le peuple veut », n’a pas besoin de convaincre ses ennemis de sa pertinence et de son historicité. Ce projet a plutôt besoin de la sincérité de ses partisans dans le travail et de leur abnégation au service de l’intérêt général (…). Il est temps de mettre fin à la confusion entre le droit de penser autrement et l’engagement au nom de ce droit, ouvertement ou secrètement, contre les intérêts généraux du peuple. »
On ne peut pas être plus clair. Pour le gourou laïc, quiconque n’est pas convaincu du « projet présidentiel » est donc un ennemi. Et quiconque s’engage, ouvertement ou secrètement, contre ce projet est ipso facto contre « les intérêts généraux du peuple ». En d’autres termes, M. Ridha « Lénine » s’arroge le droit de parler au nom du peuple et d’incarner sa volonté. Il décrète implicitement que quiconque ne croit pas à ses schémas politiques est un ennemi du peuple.
Pour avoir causé des désastres historiques, provoqué des dizaines de millions de morts et des rivières de sang et de larmes, on pensait que de telles idéologies destructrices mortes et enterrées. Mais voilà qu’elles sont ressuscitées par notre « Lénine » national qui commence déjà à pointer un doigt accusateur aux « ennemis » du peuple.
Ainsi, ce que Monsieur Ridha Mekki ignore ou feint d’ignorer que la construction édifiée par le vrai Lénine a tenu 70 ans avant de s’effondrer comme un château de cartes; que la construction de « la vraie démocratie », la démocratie des comités populaires et des comités révolutionnaires a été expérimentée chez notre voisin du sud-est avec les résultats désastreux que l’on sait; et que le maitre à penser de « la démocratie de base » a fini lynché par ceux-là même qui l’ont glorifié et idolâtré pendant des années…
Ridha ‘’Lénine’’ s’arroge le droit de parler au nom du peuple et d’incarner sa volonté. Il décrète implicitement que quiconque ne croit pas à ses fantasmes politiques est un ennemi du peuple.
Ce que le président et son entourage ne doivent pas ignorer ou feindre d’ignorer est que le peuple qu’ils sont venus défendre a servi dix ans durant de cobaye pour l’islam politique avec les résultats dévastateurs que l’on sait. Que ce peuple qu’ils sont venus aider n’a plus ni la force, ni la patience de servir de cobaye à une autre idéologie populiste qui a fait les preuves de ses faillites dramatiques ailleurs.
Alors que le peuple est à bout, le président lui propose un débat…pour savoir ce qu’il veut. Cependant, le peuple est fatigué des discours creux, des débats stériles et des concertations inutiles. Le peuple ne veut qu’une chose: que son économie détruite par les « frérots » soit remise sur pied. Mais on ne remet pas sur pied une économie à genoux à coups de discours coléreux, populiste, creux et hargneux. On n’aide pas un peuple enfoncé dans la misère en lui servant un débat dans tous gouvernorats du pays en lui promettant que ses doléances seront enregistrées.
Si le président voulait réellement aider ce peuple meurtri par dix ans de gabegie islamiste, il n’aurait pas fait perdre au pays tant de temps. Il ne se serait pas fourvoyé dans des chemins tortueux, avec pour principal slogan, la rengaine du « peuple qui veut ».
Pourtant des solutions simples et intelligentes existent. Imaginons qu’elle serait notre situation aujourd’hui si, dès le 26 juillet, le président avait ordonné un bon toilettage de la Constitution de 1959 avant de la soumettre à un référendum. S’il avait confié aux experts l’élaboration d’une nouvelle loi électorale. S’il avait nommé aussitôt un gouvernement qui se pencherait sur le redressement de l’économie et confié les dossiers les plus brûlants à la justice. Si au lieu des dénonciations quotidiennes des corrompus, il s’était adonné à des exhortations quotidiennes au travail et à l’effort. S’il avait adopté un langage diplomatique serein, celui d’un chef d’Etat chaque fois qu’il s’adressait aux pays étrangers. Sil s’était entouré de vrais conseillers compétents au lieu d’idéologues impatients de transformer le pays en laboratoire pour idées surannées?
Mais hélas, la malédiction qui afflige ce pays depuis une décennie n’est visiblement pas prête de nous laisser respirer. Après le désastre islamiste, avançons-nous vers la catastrophe populiste?