Attention, ne vous méprenez pas sur la signification de la photo. La posture n’est pas celle d’un brigand inoffensif qui accepte de se rendre à la police. Mais celle d’un citoyen honnête qui montre qu’en dépit de ses tractations et de ses petites combines, il a toujours les mains propres. Ce cliché n’a donc qu’une portée métaphorique. Même si le personnage est l’incarnation même de l’insignifiance en politique. L’homme est parti de rien mais n’est arrivé nulle part. Il a trouvé aujourd’hui refuge dans un parti confidentiel, propriété d’une personnalité dont la valeur politique est nulle et qui s’est toujours entourée des figures aussi vaines que le sable.
L’infatigable Ahmed Néjib Chebbi, figure politique familière qui a nourri sans succès le désir passionné d’atteindre, sans jamais y parvenir, l’exercice du pouvoir, vient d’être rattrapé par l’affaire de l’ancien ministre Mehdi Ben Gharbia, aujourd’hui accusé de corruption, de blanchiment d’argent et incarcéré. Néjib Chebbi, quant à lui, n’a fait que lui vendre un bien immobilier, utile et commode à la vie, d’une valeur de plus de 5 Millions de Dinars. Cette transaction, que d’aucuns considéreraient comme étant de pacotille, réalisée avec un individu pourtant réputé peu fréquentable, sape les généreux principes théoriques de la démocratie et de la justice sociale que Néjib Chebbi prétendait défendre.
« Or, c’est même le propre de la pratique politique de la corruption que de s’appuyer sur des rapports personnalisés au sein des structures publiques et des partis politiques. Ces rapports entre individus visent toujours à satisfaire un intérêt particulier aux dépens de l’intérêt collectif »
On comprend mieux maintenant toute la rancœur que le président du parti « Al Amal » nourrit à l’endroit de Kaïs Saïed qui, en soulevant le couvercle de la marmite dans laquelle mijotent, depuis bien longtemps déjà, les faits de corruption devenus un mal endémique, provoque l’ire de Néjib Chebbi qui accuse le chef de l’État « d’entrainer le pays au bord du gouffre ». Sa politique, dit-il, « ne produira qu’inflation, hausse des prix et pauvreté » dans une société où le riche sera sur le même pied que le pauvre! Survivant dans un pays où l’argent ne vaut plus rien, Néjib Chebbi n’a d’autre choix que de se défaire au plus tôt de ce qui reste de sa part dans ses 5 milliards, autrement l’inflation va s’en charger.
Mais passons…
Nous pourrions aujourd’hui, 11 ans après l’avènement de la sainte démocratie, affirmer que celle-ci n’a pas mis fin à la corruption, mais en fit au contraire un phénomène structurel, une culture de société. Autant de raisons qui lui vaudraient d’être une matière d’enseignement interdisciplinaire, pleine et entière, touchant à la fois à la morale, publique et privée, à la sociologie, au droit, à l’économie, à l’éthique et surtout aux pratiques politiques.
Confinée naguère dans la mouvance du chef de l’État et dans les instances du parti, PSD et RCD, la corruption a envahi depuis 2011 l’ensemble des dispositifs par lesquels une société répartit, organise, coordonne et contrôle les activités de la population.
Au lendemain des indépendances, une partie de l’aide internationale de lutte contre le sous-développement fut détournée au profit des monarques et dirigeants libérateurs de leurs peuples, à leur bénéfice direct et sous forme de gratifications de loyauté aux membres de leurs clans, familles et compagnons de lutte.
Les difficultés sociales allant en s’aggravant, la corruption s’est introduite dans toutes les interstices des institutions jusqu’aux anfractuosités et sillons de l’administration. Les traitements insuffisants payés par les États neufs à leurs fonctionnaires, amènent des industriels et commerçants à arrondir ces revenus contre compensations. Une « corruption constructive », complétant des rouages de l’État sous-développés, s’était alors instaurée par l’appel fait à des moyens officieux, plus efficaces et pouvant conduire à des résultats corrects du point de vue économique: spéculation, marché noir, contrebande et fraude fiscale servaient à graisser ainsi l’engrenage du système. Dans cette infinité de combinaisons, chacun finissait par y trouver son compte.
« Les difficultés sociales allant en s’aggravant, la corruption s’est introduite dans toutes les interstices des institutions jusqu’aux anfractuosités et sillons de l’administration »
En 2011, d’un peuple soumis et réprimé par une dictature prétendument qualifiée d’implacable, on est passé à un peuple affranchi, souverain et surtout libre d’élire des corrompus, des imposteurs et des voleurs.
Les islamistes d’Ennahdha, les premiers hissés au pouvoir, avaient alors entrepris au nom de la loi de Dieu, de s’adonner sans attendre, aux méthodes d’appropriation sans limite des richesses du pays, la pratique du butin, tout en gavant de préceptes pieux leurs ouailles de sa licéité, les invitant à se servir à leur tour en toute légitimité. La démocratie s’est alors soldée par une pauvreté et une insécurité accrue, des dirigeants inefficaces et la mise en place de nouvelles institutions déroutantes.
Dans le domaine de la confusion des genres, le mouvement Ennahdha a ensuite considérablement innové. Au-delà du pillage systématique des caisses de l’État durant trois années.
Il a surtout consolidé son pouvoir en renforçant un système de délégation de pouvoir par des détours insidieux. Il a ainsi noyauté l’administration, les institutions de l’État, les entreprises publiques, les banques et les médias par 300.000 fidèles.
« Au lendemain du départ de Zine el-Abidine Ben Ali, la Tunisie s’est enflée jusqu’à la pléthore d’un nombre incalculable de partis dont la rentabilité politique demeurait manifestement bien incertaine. Certes, il y a bien eu un bouleversement de société, mais uniquement sous la forme de ruées féroces vers le pouvoir quel qu’il soit et vers le profit d’où qu’il vienne »
Le pluralisme politique, la course au pouvoir, les nécessités de disposer de financements, surtout étrangers pour la constitution de nouveaux partis politiques, ont fait le reste en consacrant une mentalité nouvelle, voire un folklore, à la fois tenace et démoralisant.
L’afflux de fonds a ainsi généré de grosses fortunes aussitôt transférées pour être investies en immeubles ou placées dans des paradis fiscaux. Mohamed Moncef Marzouki, deux fois lauréat dans cette pratique, en sait quelque chose.
La corruption est-elle favorisée par des partis forts ou des partis faibles ?
La force et la faiblesse sont différemment évaluées. Mais logiquement, plus faibles et moins connues elles sont, plus importantes sont les probabilités de leur corruption.
Ainsi en est-il des partis sans aucune assise historique, populaire ou idéologique, qui ne pouvaient pas émerger et encore moins entreprendre le moindre rassemblement sans l’appui de généreux donateurs, selon des contrats tacites qui remplissaient toutes les conditions d’un accord gagnant-gagnant.
Ce fut le cas, notoire, d’Al Joumhouri d’Ahmed Néjib Chabbi. Son meeting de grande ampleur, organisé à Sfax en 2011, a été supervisé et financé par un homme d’affaires bienfaiteur, alors peu connu du grand public, Chafik Jarraya qui, de respectable « sponsor » est devenu subitement controversé puis un infréquentable corrupteur inscrit au bien maigre tableau de chasse de Youssef Chahed dans son pseudo combat contre la corruption.
« L’ouverture du champ politique à toutes sortes de formations a ainsi favorisé l’insertion de nombreux entremetteurs qui, grâce à leur fortune, à leur bagou éloquent, ou les deux, s’interposèrent entre les partis et le citoyen dans le but de prélever une marge dans la distribution du pouvoir »
Il y avait en effet, dans la situation chaotique que traversait la Tunisie, un terreau de développement favorable à leurs investissements. Autant d’options sur des dividendes futurs.
Les soutiens financiers, occultes ou visibles, provenant aussi bien de l’étranger que de riches entrepreneurs, hommes et femmes dits « d’affaires » locaux, s’inscrivaient dans la banalité la plus quotidienne. Et leur implication organisée dans la sphère politique était devenue une impitoyable lutte où tous les coups sont permis pour se tailler une part de marché.
Les citoyens, pour qui tous les détenteurs d’un pouvoir sont véreux, n’attendaient qu’une occasion de pouvoir procéder de même. La corruption, désormais installée dans les mœurs, même au sein du personnel éducatif, devenait de plus en plus un moyen d’infléchir les décisions de bureaucrates inflexibles et d’atténuer la dureté et l’arbitraire des fonctionnaires qui exercent une influence corruptrice sur les usagers.
On l’accepte comme une stratégie de contournement des obstacles politico-étatiques, comme une sorte de mode de régulation qui repose sur une politique rationnelle de distribution des richesses : emplois, permis, passe-droits, protection…, contre argent ou soutiens de toutes sortes.
Des pratiques que tout le monde condamne, mais auxquelles on se résigne comme un moindre mal, sans égard pour ses effets sur le fonctionnement de l’État, de la démocratie et du tissu social. Pire encore, ces pratiques sont la négation même des valeurs qui fondent l’État et le gouvernement représentatif.*
« La corruption, désormais installée dans les mœurs, même au sein du personnel éducatif, devenait de plus en plus un moyen d’infléchir les décisions de bureaucrates inflexibles et d’atténuer la dureté et l’arbitraire des fonctionnaires qui exercent une influence corruptrice sur les usagers »
Contrairement aux démocraties occidentales, il n’y a jamais eu en Tunisie ni électeur, ni élu. La quête aux voix ne répondait à aucune exigence de vérité. Il n’existait aucun dialogue formel ou informel qui se noue habituellement entre celui qui se présente aux élections et celui qui participe au vote. La distance entre les quelques individus et les populations est immense et ne s’exprime qu’à travers les médias et les réseaux sociaux, là où les formules sont figées, les slogans vides, les jeux de mots ineptes.
Plus le pays avançait sur la voie de l’économie libérale de marché, plus la corruption, concussion et malversations évoluent dans le sens d’une diversification tous azimuts. Au sein des organismes de gestion économique les plus « rentables », la situation est devenue alarmante. Quant aux « affaires », les plus scandaleuses n’ont jamais bénéficié de délais raisonnables de la part d’une justice qui étale ses procédures selon un agenda particulièrement éclectique.
Un mécanisme de contrôle politique et de clientélisme de la gestion des affaires publiques que les islamistes et autres avaient su mettre à profit jusqu’au 25 juillet 2021 et la décision de Kaïs Saïed d’en finir avec l’usure morale des élites du pays, l’instabilité de ses gouvernements, la dominance des islamistes et la périlleuse volonté de démonter les liens de réseaux qui n’ont jamais cessé d’unir les sphères politiques avec différents réseaux d’organisations illégales et de trafiquants en tout genre.
En effet, le chef de l’État est arrivé à ce constat que la corruption a gangrené les institutions de l’État et miné l’esprit d’entreprise. L’ampleur de la corruption, et ce n’est qu’un début, est de plus en plus mise en lumière. Se créée alors dans la vie et dans la culture politiques une large désaffection et un refus démocratique lui-même ou pire, une ratification populaire des politiques imprégnées de corruption auxquelles l’action politique a été conduite.
La politique de Kaïs Saïed s’inscrit dans le droit fil de cette revendication morale. Il n’y a donc rien d’inconvenant, pour les Tunisiens autant que pour les nations étrangères qui n’ont eu jamais de cesse de poser la lutte contre la corruption comme un préalable pour toute coopération future, à ce qu’un chef d’État s’attribue un droit de priorité et d’initiative, même au prix d’une mise en parenthèse momentanée de la démocratie, dans l’affirmation de la primauté de la loi, la poursuite des contrevenants, la transparence dans la prise de décision, la représentation équitable, la recherche du bien commun et autres dispositions majeures pour un retour à la normale. Il en va de la SURVIE du pays à condition de ne pas opposer une fraction de la population contre une autre.