Bien que la publication des chiffres de l’exécution du Budget intervienne en retard par rapport à l’urgence de la situation actuelle, il y a des chiffres très significatifs et qui confirment le mal structurel de ce pays.
Le premier ratio de ce budget qui attire l’attention est celui de la couverture des rémunérations de la fonction publique par les ressources fiscales. En effet, il s’établit à 1,44x. En d’autres termes, pour chaque dinar collecté par l’administration fiscale, 0,691 TND sont versés aux fonctionnaires (y compris les charges sociales).
Des ratios qui intriguent
En 2010, ce taux était de 1,87x. Les impôts directs étaient, à eux seuls, capables de couvrir les salaires. Alors que jusqu’à août 2021, ils n’ont permis de couvrir que 59,4% de ce poste de charges!
Le problème est que personne ne pourra résoudre cet épineux problème ni cette année, ni dans un quinquennat. Pire encore, chaque 1% de revalorisation salariale coûtera à l’Etat 133 MTND mensuellement.
L’Etat n’a pas également de baguette magique pour doper ses recettes fiscales, car l’économie est à l’arrêt. Le recouvrement intensif des créances à travers la multiplication des missions de contrôle prend du temps et tue les entreprises.
D’ailleurs, les dettes fiscales cumulées depuis des années sont, en grande partie, carbonisées. Créer de nouvelles taxes aura des conséquences terribles sur l’investissement et l’emploi.
Les impôts indirects ne sont pas également une source particulièrement à cibler au budget. Car cela signifie plus de Droits de Douanes, de TVA et de Droits de Consommation. Ce sont des mesures inflationnistes qui vont, tout simplement, détruire la consommation.
Nous avons aussi des services de la dette importants durant les années à venir. Sur la période 2022-2025, le pays devra rembourser l’équivalent 10 milliards de dollars.
Faible marge de manœuvre
Equilibrer les comptes, tout en réduisant le recours à l’endettement, passe par la compression des charges autres que les rémunérations, donc des investissements et des interventions. Dans ce cas, nous allons perdre un moteur essentiel de la croissance.
L’équation budgétaire tunisienne n’est pas facile à résoudre, surtout politiquement parlant. Si le pays veut préserver sa souveraineté, il doit sacrifier ses investissements et ouvrir davantage de domaines aux acteurs privés locaux et étrangers.
Or, l’esprit actuel qui règne à Tunis n’est pas dans ce sens, car nous avons l’impression qu’on mène une guerre contre les familles qui contrôlent effectivement la majorité des secteurs économiques. Au-delà de la véracité de ce constat ou non, ce sont ces familles qui ont le savoir-faire, le carnet d’adresse et la capacité de mettre le paquet immédiatement sur les différents projets. L’émergence d’autres acteurs n’est pas évidente, car ils pourront facilement être la proie de la pression de certains lobbys.
En même temps, si l’Etat compte réformer tout en veillant à investir, et donc s’endette davantage, c’est que le Président de la République va tester sa popularité. Effectivement, la majorité écrasante des Tunisiens n’est pas en faveur des vraies réformes, telles que la privatisation des entreprises publiques, la libéralisation de l’activité économique et le changement du rôle de l’Etat vers celui d’un facilitateur plutôt qu’un producteur. La population n’est pas prête à une autre déception et elle compte beaucoup sur le projet de Kaïs Saïed.
Alors, un consensus national, même hors organisations nationales et partis politiques, est nécessaire. Il faut mettre en place un pacte qui traduit une prise de conscience de la gravité de la situation. Malheureusement, les divergences actuelles prouvent que ce n’est pas pour demain. Ce pays a vraiment besoin d’un miracle pour s’en sortir.