Suivre le cours de la dette souveraine tunisienne sur les marchés internationaux n’est pas une sinécure, un exercice pour les âmes sensibles. Les actions négatives des agences de rating se succèdent, les analystes financiers s’alarment et le prix des obligations dégringole. L’agence américaine Moody’s, dernière en date, vient de dégrader la note souveraine long terme à Caa1; après l’avoir diminuée en février de cette année à B3. Alors comment se sortir de cette crise?
Avec ce nouveau rating, la Tunisie entre dans le club peu enviable de la catégorie C, avec des perspectives négatives. Parmi les principales raisons citées par Moody’s, on note la faible gouvernance et la difficulté à mettre en œuvre les réformes nécessaires. C’est peu surprenant comme diagnostic de crise, quelques jours à peine après la formation d’un nouveau gouvernement.
L’autre raison citée, est la difficulté qu’a et qu’aura le pays à accéder au marché de refinancement à un taux raisonnable et acceptable. C’est en effet une manière de réagir à l’anticipation du marché, qui élargit déjà la marge de crédit que la Tunisie doit payer pour se refinancer.
Les autres éléments de réponse pour le dénouement de cette crise profonde sont à trouver dans les raisons que citent Moody’s.
L’action de Moody’s, la perspective négative, ainsi que le timing un peu déplorable montrent en réalité le manque de patience pour le crédit Tunisie; ainsi que l’urgence de redresser la barre.
Bien avant l’action de Moody’s, la dernière obligation tunisienne en date, émise en 2019 avec un coupon de 6.375% et une maturité à l’échéance 2026, traitait autour de 82 centimes pour un euro redevable à maturité, pour ensuite plonger vers les 77 après la dégradation de la note. Ce qui équivaut à un rendement de près de 12.5%, un taux stratosphérique pour la Tunisie en crise. Et qui la met dans le même panier qu’un nombre limité de créances douteuses.
Si les marchés restent à ces niveaux prohibitifs de financement et si les agences de rating sont peu clémentes, sortir de cette spirale négative est impératif.
Le pays se trouve donc dans un cercle vicieux, où les fondamentaux macroéconomiques chancelants nourrissent une aversion au risque Tunisie parmi les investisseurs.
L’écart de la marge de crédit qui s’ensuit amplifie alors les maux que les agences de rating appréhendent. Car ces dernières ont appris par le passé à écouter ce que le marché dit, plutôt que de se concentrer uniquement sur les fondamentaux.
Avec un taux d’endettement qui avoisine les 100% du PIB, une croissance en 2020 de -9% comme conséquence directe de la crise sanitaire, un double déficit grandissant et surtout, avouons-le, un flou politique ahurissant à la fois pour nos affaires internes, mais aussi pour nos alliances extérieures, on ne peut blâmer ni les agences de rating, ni les investisseurs frileux.
Le crédit Tunisie est connu aussi sur les marchés pour manquer cruellement de soutien local.
Car souvent, dans les pays émergents, les banques locales jouent un rôle important en intervenant sur le marché à l’achat, lorsque les marchés décalent excessivement ou sur-réagissent.
Malgré la situation délicate des banques tunisiennes, il est temps d’envisager, pour les plus solides d’entre elles, un cadre réglementé dans lequel des interventions de ce type sont possibles, en mobilisant des ressources en devises.
L’effet psychologique sur les autres opérateurs de ce genre d’opérations peut être assez significatif.
Bien évidemment, il s’agit là d’une mesure plutôt technique relative à la structure du marché obligataire. Mais les autres éléments de réponse pour le dénouement de cette crise profonde sont à trouver dans les raisons citées par Moody’s. L’exécutif tunisien doit saisir le message et envoyer rapidement un signal fort de pragmatisme et de bon sens.
Pour l’instant, le FMI et la Banque mondiale vont être des partenaires disponibles et incontournables, en temps de crise. Il appartient au gouvernement de veiller à la réussite de ce partenariat.
Le gouvernement doit fournir les bonnes conditions et le climat d’affaires nécessaire à ce genre de transactions.
Ensuite, la Tunisie a besoin d’investissement direct étranger et de l’appui de partenaires qui s’investissent dans des projets rentables et bénéfiques pour les deux parties.
Le gouvernement doit fournir les bonnes conditions et le climat d’affaires nécessaire à ce genre de transactions. Mais aussi orienter l’investissement dans des secteurs porteurs, comme l’écologie, la santé, les services financiers à haute teneur technologique, les sciences des données et l’intelligence artificielle. L’actuel sommet sur l’économie verte en Arabie saoudite peut être une opportunité et la nouvelle cheffe du gouvernement a été bien inspirée d’y assister.
Par ailleurs, la visite du ministre des Affaires étrangères du Koweït, vendredi 22 octobre, et la déclaration de soutien qui s’en est suivie, ont eu un certain retentissement sur les marchés.
De fait, pour une fois, l’obligation tunisienne avait clôturé modestement dans le vert, dans un marché globalement en recul. Il y a, certes, des mesures immédiates à prendre, des partenariats existants à renforcer et de nouvelles opportunités à explorer; mais n’oublions pas qu’il peut y avoir aussi une belle reprise au tournant.
La Tunisie a fait bien des efforts dans sa lutte contre la Covid, en vaccinant en masse et en maitrisant les mesures de distanciation sociale et de gestion de crises. Il peut y avoir une belle reprise touristique et il ne faudra pas la rater.
De même, la reprise économique mondiale peut aussi favoriser le reflux de l’épargne expatriée. Et il faut espérer que l’on rattrape le retard subi par nos exportations de matières premières, produits agricoles et produits finis.
Malgré les dégradations, les dégringolades et la morosité ambiante, il y a un scenario Tunisie ++ pour 2022. Il n’est pas du tout évident, mais il faudra aller le chercher.