Dans le cadre d’une étude sur l’expérience des banques nationales de développement, la Banque de Financement des Petites et Moyennes Entreprises (BFPME) a récemment fait l’objet d’un rapport élaboré par Mondher Khanfir. Ce rapport a retracé la stratégie et la mission de la BFPME ainsi que sa performance depuis sa création. Le même rapport a analysé le positionnement de la banque dans l’écosystème bancaire tunisien ainsi que les défis et les perspectives d’avenir pour la BFPME.
A cette occasion, leconomistemaghrébin.com a interviewé Lébid Zaafrane, Président-Directeur Général de la BFPME. Lébid Zaafrane est aussi financier et professeur à l’IHEC. Il a une expérience de 30 ans à la STB, la banque qui a construit l’économie tunisienne.
Notre tissu économique est composé à hauteur de 85% de PME et de TPE d’où découle l’importance des PME pour l’économie tunisienne. La BFPME est la banque d’accompagnement des PME. Elle connait leurs points forts et leurs points faibles des PME. Quelles sont alors les principales défaillances auxquelles fait face la PME tunisienne dès sa création ?
Il faut d’abord souligner qu’après la révolution, on n’a pas raisonné macro. Aujourd’hui, il faut mettre l’accent sur l’économie avant la politique. Car on ne peut pas séparer entre l’économie et la politique. En Tunisie, nous avons une grande faiblesse au niveau de la culture entrepreneuriale. C’est l’une des plus grandes défaillances de notre système éducatif. Dans la majorité des cas, dès sa création, la PME tunisienne est mort-née à cause de la faiblesse de la culture entrepreneuriale et l’absence de la culture de financement des entreprises. Malheureusement, pour lancer un projet, on pense directement à obtenir un crédit.
Parmi les composantes essentielles du financement d’un projet, vous insistez sur l’importance du fonds propre. Pourquoi ?
Il y a des problèmes liés à la PME elle-même. D’autres défaillances sont d’ordre structurel. Un projet qui réussit est celui qui fait un bon départ. La partie liée aux fonds propres est un principe fondamental pour la réussite de n’importe quel projet. Elle est dans la majorité des cas écartée. Je ne comprends pas d’où vient cette culture de penser à bâtir des locaux avant de démarrer les projets surtout que le coût du génie civil dans le coût total d’un projet industriel est estimé à environ 38% ! Pour n’importe quel projet, notamment dans le secteur industriel, le fonds propre doit représenter jusqu’à 50% du projet. Certains projets ont démarré avec des fonds de roulement ne dépassant pas les 10% de leur coût ! Une sous-estimation en besoin en fonds de roulement implique une grande probabilité d’échec.
Il faut tenir compte aussi de la complexité de l’écosystème entrepreneurial tunisien. Il est composé d’environ 135 acteurs (accélérateurs, incubateurs, centres d’affaires, structures d’appui…).
A cela s’ajoute le coût de la dette qui est aujourd’hui à deux chiffres. Cela explique pourquoi certains projets sont mort-nés. La décision d’exiger seulement 2% comme fonds propres pour démarrer un projet dans le cadre d’encouragement à la création d’entreprise était un vrai crime.
Le problème des PME est aussi lié à la crise de la Covid-19. Le report des échéances par le recours à des intérêts composés n’était pas la bonne solution. Il n’était pas dans l’intérêt des PME. On n’a fait que reculer l’effet de la crise. Notons que la Loi relative aux restructurations d’entreprises exige des états financiers arrêtés. Ce qui est difficile à appliquer par des PME en difficulté.
Il y a aussi la difficulté d’accès au financement. Le crédit à long terme est un produit risqué pour les banques. Celles-ci sont devenues de plus en plus prudentes. Ce qui explique la baisse d’octroi des crédits et la réticence des banques commerciales pour financer des projets parce que la PME constitue, en elle-même, un risque notamment après la crise de la Covid-19.
Dans ce cas, les banques de développement, comme la BFPME, interviennent pour partager une partie du risque. C’est pourquoi je considère la transformation des banques développement en des banques commerciales était un faux départ, une erreur stratégique et un échec total. L’Etat avait remédié à ce problème. Il a obligé une banque de la place de jouer le rôle d’une banque de développement.
Comment se rattraper ?
Je considère le crowfunding comme la meilleure solution pour garantir la réussite des projets dès leur démarrage parce que l’économie a toujours besoin d’entreprises puissantes et des banques fortes. Il faut aussi valoriser la PME tunisienne et la positionner vers l’export. Par exemple, les marchés africains notamment la Libye pourrait sauver plusieurs PME tunisiennes. Il faut nouer des partenariats avec des entreprises étrangères pour produire en Tunisie. Puis exporter vers ce grand marché maghrébin.
Quel est donc le rôle de la BFPME dans la réussite des nouveaux projets ?
Contrairement aux banques universelles, la BFPME est une banque d’accompagnement et de financement. Notre premier objectif consiste à garantir un accompagnement fiable des projets. Un bon accompagnement réduit de moitié la probabilité d’échec. La BFPME n’applique pas des frais d’accompagnement.
Le portefeuille de la BFPME est réparti entre 80% des projets industriels et 20% des projets dans le secteur des services. La banque se place entre les actionnaires et les autres banques. La BFPME a toujours plaidé pour la mise en place d’un système d’information et la digitalisation des opérations dans les schémas d’investissement. Nous voulons continuer à créer des PME pérennes parce que l’organisation est importante pour la réussite de la PME.
Notre démarche est différente de celle des banques commerciales. La BFPME ne finance pas des idées. Elle finance des projets, mais pas des projets ayant de faibles business models car un projet doit être rentable.
L’étude a constaté que la BFPME est bloquée notamment au niveau de sa marge de manœuvre et de son mode gouvernance ? Pourquoi ?
On est très transparent. L’étude a englobé des analyses approfondies effectuées par l’expert Mondher Khanfir. Les recommandations de l’étude reflètent parfaitement les orientations de la banque.
La BFPME a été délaissée seule face à son destin pour une longue période. On a dû attendre de 2016 jusqu’à août 2020 pour décider de la dissociation des pouvoirs au sein de la direction de la banque. Une année après, le ministère de tutelle a décidé la nomination d’un président du Conseil d’administration.
Le retard pour l’augmentation de capital de la banque nous a aussi obligés de revoir certains aspects dans le plan de restructuration initial. Nous sommes livrés à nous-mêmes.
On a appliqué à la BFPME, qui n’a qu’un seul produit, les crédits à moyen termes accordés à des taux fixes, les mêmes ratios prudentiels que les banques commerciales. Notons qu’environ seuls 10% des PME remboursent dans les délais convenus. Ce qui engendre un taux de rotation moyen du portefeuille de la BFPME d’environ 10-25 ans. C’est la durée de vie moyenne d’un crédit BFPME pour les PME.
Malgré ces difficultés, la banque a réussi à recouvrer 52% de ses crédits (en principal). S’agissant du recouvrement, demander à une banque publique d’appliquer des procès dans des régions intérieures n’est pas une tâche facile. C’est pourquoi, la vraie garantie est le projet lui-même.
La BFPME est déficitaire pour des raisons comptables, mais elle a joué pleinement son rôle de banque de développement. A un certain moment, la BFPME a axé ses efforts sur l’avant-création malgré que cela ne découle pas de sa principale mission.
On a aussi appliqué à la BFPME et les banques universelles les mêmes règles du jeu en matière de provisions. N’oublions pas aussi que les créations de projets représentent 80% du portefeuille de la BFPME. 70% des projets accompagnés et financés par la banque sont installés dans des zones de développement régional.
Quelle serait l’urgence pour le développement de la BFPME ?
Qui dit expertise, dit BFPME. Nous sommes une banque de proximité. Les projets accompagnés par la BFPME ont permis la création de 31 mille postes d’emploi. 18% des projets financés par la BFPME sont gérés par des femmes entrepreneures.
Il faut nécessairement développer la BFPME et axer les efforts sur les projets dans les régions. Nous demandons l’approbation du plan de restructuration de la BFPME à l’instar de ce qui a été décidé aux banques publiques pour pouvoir nouer des partenariats avec des banques de développement étrangères. Le Fonds de restructuration des entreprises, créé en 2014, a beaucoup aidé les PME. Il a permis à la BFPME de procéder au refinancement à hauteur de 30 millions de dinars.
Nos ressources humaines perdent beaucoup de temps dans des opérations d’accompagnement qui ne contribuent pas à l’amélioration du chiffre d’affaires de la banque. La BFPME et la Caisse des dépôts et de Consignations (CDC) convergent vers la même chose. La CDC, le bras financier de l’Etat dans les projets de développement, pourrait entrer dans le capital de la BFPME pour améliorer ses ressources financières. Pour la SOTUGAR, son modèle pourrait servir aux projets financés par la BTS. Il faut, à mon avis, mettre en place une bonne politique de crédit à travers l’investissement dans des secteurs rentables et des risques bien étudiés.
La BFPME agit dans des zones à risque très élevé. Son vrai capital sont ses ressources humaines. Cette banque doit continuer à exister parce que les PME comptent beaucoup sur son rôle d’accompagnement. Ses conditions sont beaucoup plus avantageuses que les banques commerciales. Elle applique des taux privilèges (entre 7% et 8%). La banque bénéficie d’avantages accordés par le ministère chargé du dossier de développement. Ce qui lui permet d’accorder au promoteur un prêt participatif allant jusqu’à 300 mille dinars. On boucle aussi les schémas de financement. La banque intervient aussi dans la recherche des SICARS pour le cofinancement des projets rentables.
Quel est votre dernier message ?
Je ne regrette pas les efforts et les sacrifices que j’ai consentis au sein de la BFPME. Le plan de la restructuration de la BFMPE est prêt. Je suis optimiste quant à la nomination de Mme Sihem Boughdiri Namssia à la tête du ministère des Finances. Il faut se remettre au travail et chacun doit faire son travail pour sauver notre pays. L’intérêt du pays est au-dessus de toutes les autres considérations.