Dimanche 7 novembre, Irak. Trois drones se sont attaqués à la résidence du Premier ministre irakien Mostafa Al Kadhimi. Deux ont été abattus par les forces de sécurité, et le troisième, un drone piégé, a explosé dans la résidence du Premier ministre, causant des dégâts matériels et blessant six gardes du corps. Les terroristes ont échoué à atteindre leur cible. Le Premier ministre en est sorti indemne.
Peu de temps après l’attentat en Irak, Al Kadhimi s’est adressé aux Irakiens pour les rassurer sur sa bonne santé et pour appeler au calme. « Les lâches attaques de roquettes et de drones ne construisent ni des patries, ni un avenir », a-t-il dit.
Pourquoi le Premier ministre a-t-il été la cible d’un attentat terroriste qui a failli l’emporter? Une première explication est à chercher dans le processus électoral irakien qui, compte tenu des tiraillements ethniques qui déchirent le pays, n’arrive toujours pas à s’imposer comme l’instrument stabilisateur de l’Irak. Un pays en bouillonnement continu depuis la chute du régime de Saddam Hussein en 2003.
Depuis l’invasion américaine, nombre d’élections ont été tenues en Irak; mais aucune n’a réussi à réconcilier ni les composantes ethniques entre elles, ni le peuple irakien avec son élite. Au contraire, les élections ont, à chaque fois, été utilisées par les élites pour se partager le pouvoir et ses avantages. Celles-ci ont tout fait pour perpétuer un statu quo qui se nourrissait des pratiques clientélistes et de la corruption endémique.
Statu quo intolérable
Le statu quo étant devenu intolérable, il y a eu les grandes manifestations populaires d’octobre 2019. Des centaines de milliers d’Irakiens ont manifesté plusieurs jours à Bagdad et dans plusieurs autres grandes villes du pays. Leurs exigences? « La fin du confessionnalisme et du marchandage entre chiites, sunnites et kurdes; l’éradication de la corruption; la fin des ingérences extérieures; la limitation de l’influence de l’Iran sur la scène politique irakienne; le désarmement des innombrables milices; la réforme de la loi électorale et autres exigences relatives à la justice sociale et à une activité économique saine… »
Le caractère massif des manifestations d’octobre 2019 a fait plier les élites gouvernantes qui ont fini par annoncer en mai 2020 des élections anticipées… pour octobre 2021.
Cette annonce a suscité d’énormes espoirs. La population irakienne, éreintée par de longues années d’instabilité, de terrorisme, de corruption et d’injustice, a vu dans ces élections anticipées avec une nouvelle loi électorale une occasion susceptible de mettre fin à son calvaire. Mais l’absence de la culture démocratique et de la prédisposition à accepter le verdict des urnes risquent de perpétuer l’instabilité et le bouillonnement populaire en Irak.
Les élections du 10 octobre dernier ont laminé les formations chiites pro-iraniennes. Du coup, le Premier ministre Mostafa Al Kadhimi devient le principal accusé de ce qu’elles appellent « le trucage des élections ».
Le refus des perdants de reconnaitre leur défaite a jeté dans la rue des milliers de manifestants chauffés à blanc par les discours incendiaires des dirigeants chiites de la mouvance pro-iranienne qui ont adopté la logique destructrice de l’ancien président Donald Trump. Il y a un an, celui criait sur les toits de l’Amérique « si je gagne, les élections sont régulières, si je perds, elles sont truquées. »
C’est cette logique destructrice qui est à la base des manifestations violentes du vendredi 5 novembre à Bagdad pendant lesquelles des milliers de jeunes en fureur conspuaient le Premier ministre irakien, accusé de leur avoir « volé leur victoire ». Les manifestants s’en étaient pris aussi aux forces de l’ordre sur lesquelles ils ont jeté toutes sortes de projectiles. Quand elles ont riposté, un manifestant a été tué. Il n’en faut pas plus pour que Mostafa Al Kadhimi, en plus de « truqueur des élections », devienne « tueur d’innocents ».
42 ans de guerres et d’anarchie
La suite est connue. Quelques heures après, à l’aube du dimanche 7 novembre, trois drones piégés ont été téléguidés vers la résidence du Premier ministre avec la claire intention de le tuer. Deux ont été détruits avant d’atteindre leur cible, le troisième drone a explosé, blessant six gardes du corps et causant quelques dégâts matériels. Le Premier ministre s’en est sorti avec plus de peur que de mal.
L’incapacité des processus électoraux à assurer la stabilité de l’Irak et la coexistence confessionnelle et ethnique harmonieuse ne s’explique pas seulement par la faible culture démocratique du peuple irakien, à l’instar de tous les autres peuples arabes. Elle s’explique aussi et surtout par la situation stratégique intenable de l’Irak coincé entre le marteau américain et l’enclume iranienne.
Pour les Etats-Unis, réduire l’influence iranienne en Irak, (pays qu’ils ont pourtant offert sur un plateau d’argent à l’Iran en 2003), fait partie de la stratégie américaine d’affaiblissement et d’isolement de l’Iran. Objectif qu’ils poursuivent depuis la victoire de la révolution iranienne en 1979.
Pour l’Iran, il est hors de question d’abandonner le cadeau inespéré que lui a fait involontairement l’Amérique et qui était en fait un cadeau double. En effet, les Etats-Unis ont d’abord débarrassé l’Iran de leur pire ennemi, le régime de Saddam Hussein. Ils leur ont ensuite ouvert toutes grandes les portes de l’Irak grâce à l’anarchie générée par la guerre d’agression de Bush fils.
Il est à craindre que pour des années encore, le bras de fer irano-américain en Irak empêchera toute stabilité dans ce pays. Une stabilité perdue, il faut bien le préciser, un certain 3 septembre 1980, le jour du déclenchement de la guerre Iran-Irak. 42 ans d’instabilité, de guerres et d’anarchie, c’est beaucoup trop pour un seul peuple.
Et le calvaire continu. Car, dans l’état de belligérance irano-américaine qui empoisonne la région, l’lran ne permettra pas la stabilisation d’un Irak loyal au États-Unis, ni Washington la stabilisation d’un Irak loyal à Téhéran.