Seul quelqu’un d’hyper-optimiste de nature espérait une meilleure croissance que celle qui vient d’être publiée par l’INS. Tous les indicateurs économiques qui ont été révélés sur les derniers mois annonçaient déjà cette modeste amélioration du PIB pour le troisième trimestre.
La croissance à la tunisienne n’est pas difficile à estimer. Pourtant, le consensus sur les terminaux économiques internationaux tablait sur une hausse de 5% en rythme annuel (0,3% réalisé) et 0,5% en rythme séquentiel (0,7% réalisé). La déception est donc dans l’incapacité de la machine économique à redémarrer de nouveau après la crise sanitaire.
Les ingrédients de la déception
Si nous regardons les sources clés de croissance, nous pouvons tout comprendre.
Il y’a d’abord la consommation. Durant la saison estivale, elle est essentiellement tirée vers le haut par le retour saisonnier des Tunisiens résidents à l’étranger et la saison touristique. Pour les premiers, leur retour n’était pas massif. D’ailleurs, ils préféraient effectuer des transferts d’argents. Pour les touristes, les recettes enregistrées sont déjà faibles. Pour le troisième trimestre, le croisement des différents chiffres montrent qu’elles se sont établies à 990 MTND seulement. Soit des recettes plus faibles que les revenus pour le seul mois d’août 2019 (357 M€).
Ainsi, cela explique la contreperformance de la branche agricole (-2,6% pour sa valeur ajoutée), du transport (-3,3%) et des Services d’hôtellerie, de café et de restauration (-13,1%).
Par ailleurs, concernant la consommation interne, la hausse de l’inflation ne reflète pas une forte demande. Mais plutôt une volonté des commerçants à compenser la baisse de l’effet volume, qui traduit une diminution des ventes, par un un effet prix.
En outre, pour l’investissement local, il est quasiment absent. La meilleure illustration est celle des performances des compagnies de leasing au cours du troisième trimestre, qui traduit l’investissement des PME. Les approbations restent sur une baisse de 25,7% au troisième trimestre 2021 à 382,852 MTND. Aucun secteur n’a été épargné par cette tendance. A savoir : -29,9% pour le tourisme à 24,843 MTND; -29,7% pour le Service & Commerce à 214,100 MTND; -25,7% pour l’agriculture à 52,064 MTND; -22,8% pour le BTP à 27,494 MTND; et -10,1% pour l’industrie à 64,351 MTND.
De plus, en ce qui concerne l’investissement étranger, les chiffres de la FIPA prouve que le bilan est catastrophique. Les investissements étrangers n’ont atteint que 437,6 MTND, soit à peine 135 M€!
Enfin, les exportations ont reculé en volume et l’amélioration reflète une amélioration des prix. Les usines ne tournent pas suffisamment. Et la BCT avait précisé dans sa dernière note que les carnets de commandes des sociétés exportatrices restent à des niveaux extrêmement bas.
Problèmes structurels
Mais ce n’est pas tout, car il y a une raison fondamentale qui a conduit également à cette situation. En effet, au cours du troisième trimestre 2020, les différentes unités industrielles ont tourné à plein régime pour reconstituer l’épuisement des stocks lors de la période de confinement. L’activité s’est donc améliorée dans certaines branches productives, sans réellement traduire une vraie reprise de l’activité.
Pour la majorité des branches, un effet de base plutôt favorable offrait une possibilité pour que la croissance soit au rendez-vous. Avec: les services de transport et entreposage (-25,7% au troisième trimestre 2020); les services d’hôtellerie, de café et de restauration (46,4%); la construction (-3,8%); l’industrie des matériaux de construction, céramique et verre (-2,8%); et le commerce, entretien et réparation (-2,5%). Le fait que cette longue liste de secteur ne parvient pas à réaliser une amélioration de leurs valeurs ajoutées prouve qu’il y a un problème structurel qui ne leur permettra pas de repartir. Et ce, en l’absence de changements profonds dans les business models.
Et puisque le modèle économique tunisien est connu par son inflexibilité, nous allons encore payer la facture lourde de la crise sanitaire pendant des années.
L’impact immédiat de cette situation est la dégradation automatique de la qualité de l’actif des banques et des établissements financiers. Les industries qui veulent repartir n’auraient pas la chance d’avoir des crédits à temps. Avec la baisse des dépenses d’investissement public, la machine restera grippée.
Alors, l’économie ne pourra pas créer assez d’emploi et il faut se préparer à un taux de chômage encore plus élevé que les 18,4% qui viennent d’être annoncés ce matin. Le climat social risque d’exploser à tout moment, soutenu par un conteste politique fragile.
Réviser les business models pour redémarrer la croissance
Repartir de nouveau nécessite une révision profonde de tous les secteurs. Nous sommes encore loin des tendances internationales dans la majorité des activités. Il suffit de passer en revue le Pacte de Glasgow, dévoilé le weekend, pour constater à quel point nous ne sommes pas prêts à évoluer.
C’est difficile de l’accepter, mais il faut le dire : nous sommes et nous resterons sur une courbe descendante si nous continuons à refuser les réformes.