Sous l’apparence de grandes divergences, il y a une sorte d’entente involontaire et de complicité malsaine entre le pouvoir et l’opposition pour maintenir la Tunisie à genoux et l’empêcher de se relever. Certes, ni le pouvoir ni l’opposition ne visent réellement la destruction du pays. Mais, en justice comme en politique, les jugements ne se font pas sur les intentions, mais sur les actes.
Si l’on va un peu au fond des choses, on constatera que du 23 octobre 2011, date de l’élection de l’Assemblée constituante jusqu’à ce jour, deux personnes et deux seulement ont accaparé le pouvoir absolu en Tunisie. Un pouvoir présenté outrageusement et mensongèrement comme « la seule démocratie du monde arabe ». Oui, vous avez deviné, ce sont bien sûr Rached Ghannouchi et Kaïs Saïed.
Du 23 octobre 2011 au 25 juillet 2021, aucune décision, de la plus importante à la plus banale, et aucune nomination à quelque poste de responsabilité que ce soit ne pouvaient se faire sans l’aval de Rached Ghannouchi. Après s’être imposé en maitre absolu de son parti islamiste pendant près d’un demi-siècle, il s’imposa en maitre absolu de la Tunisie, pendant près d’une décennie.
Incompétence, voracité, avidité et gloutonnerie
Du 25 juillet 2021 jusqu’à ce jour, le président de la République s’attribua tous les pouvoirs à lui tout seul. Il ne les a pas conquis en faisant appel aux blindés de l’armée, mais avec l’approbation chaleureuse et joyeuse de la population.
En effet, l’écrasante majorité du peuple tunisien a béni la concentration des pouvoirs entre les mains de ce président « propre et intègre ». Dans l’espoir qu’il fasse le ménage et répare les dégâts de dix ans d’anarchie politique, de déprédation économique et de dévastation sociale.
Par incompétence, voracité, avidité et gloutonnerie, la dictature islamiste a perdu une occasion en or de rester pour longtemps l’acteur incontournable du paysage politique en Tunisie. Car Ghannouchi et ses lieutenants ont choisi de se servir du pays plutôt que de le servir. De piller les caisses de l’Etat au lieu d’en être les gardiens. Détruisant l’économie au lieu de la développer. Et faisant exploser le chômage et la pauvreté au lieu de les endiguer. Ils sont venus en se présentant comme une bénédiction de Dieu pour le pays. Ils se retrouvent, dix ans après, honnis et décrits comme l’une des grandes malédictions que la Tunisie a connues.
Par inexpérience, entêtement et autisme politique, le président de la République est en train de perdre l’occasion en or qui lui a été offerte d’entrer dans l’histoire comme le sauveur du pays. Près de quatre mois après s’être attribué tous les pouvoirs, aucune mesure décisive de nature à améliorer la situation dans le pays n’a été prise.
Le soulagement et l’espoir nés le 25 juillet ne cessent depuis de se dissiper. La confusion, l’incertitude et l’inquiétude s’installent de nouveau. C’est que le président, en dépit du pouvoir absolu dont il dispose, ne semble pas intéressé par les grandes décisions qu’il aurait pu prendre et que le peuple aurait appuyées sans le moindre doute. Il est plutôt intéressé par les discours creux, hargneux et diviseurs.
La malédiction ne lâche pas prise
Sans expérience politique, ne sachant trop que faire face à une situation inextricable sur tous les plans, rechignant à s’entourer de vrais conseillers, réduisant le Conseil de ministres à une salle de classe où un professeur officie et des étudiants prennent des notes, le président est en train de perdre son temps et de faire perdre au pays l’espoir de voir la lumière du bout du tunnel.
Il est en train de perdre progressivement ses soutiens et de faire naitre l’espoir chez ceux qui ont détruit le pays de revenir et de reprendre leurs positions perdues le 25 juillet. La preuve est dans la manifestation du dimanche 14 novembre au Bardo. Une manifestation qui a fait les grands titres des médias internationaux.
Cette manifestation a mis d’une manière éclatante d’un côté un pouvoir absolu et stérile, incarné par un président peu rompu aux subtilités de la politique. De l’autre, une opposition tout aussi stérile qui veut nous faire croire le plus sérieusement du monde que nous étions avant le 25 juillet en démocratie. Et que nous vivons depuis sous la botte d’un dictateur.
La malédiction qui frappe ce pays n’est visiblement pas encore prête à le lâcher. Nous sommes désormais coincés. Entre le pouvoir absolu incarné par un homme qui ne sait ni l’utiliser ni quoi en faire. Et une opposition pourrie jusqu’à la moelle qui a mis le pays à genoux quand elle avait le pouvoir et qui fait preuve d’une incroyable indécence à vouloir le reconquérir. D’où l’entente involontaire et la complicité malsaine entre pouvoir et opposition avec la garantie de maintenir le pays la tête sous l’eau.