En Libye, le nombre des candidats à l’élection présidentielle du 24 décembre prochain dépasse les 70. Et le chiffre pourrait encore augmenter. Parmi eux, une seule femme, Leila Ben Khalifa, qui faisait une déclaration saisissante. « J’invite les Juifs libyens, à qui nous avons fait subir une injustice en 1967, à revenir en Libye pour participer au processus politique » !
Une déclaration mystérieuse. Et l’on se demande ce qui a poussé la seule femme candidate à soulever un sujet aussi épineux qu’inattendu. Peut-être pour faire le buzz et attirer l’attention du public et des médias sur sa candidature à la présidence de la Libye …
Dans juste un mois, la Libye aura-t-elle un président légitime qui sortirait des urnes et que tous accepteraient? A voir l’intensité des divergences et des controverses qui continuent de diviser les Libyens, le scepticisme est permis.
Si des manifestations populaires se déroulaient dans l’ouest libyen, notamment à Tripoli et à Misrata, contre le simple dépôt des candidatures de Khalifa Haftar et de Seif el Islam Kadhafi; que se passerait-il alors si l’un d’eux remportait le scrutin? Et devenait par là même le premier président libyen sorti des urnes?
L’exemple édifiant de l’Irak
L’accord entre les deux principaux acteurs étrangers, la Turquie et la Russie, et leur soutien au processus électoral, tout en gardant chacune son arrière-pensée, ont visiblement contribué à faire taire les armes des milices. Un semblant de paix fragile a été instauré. Mais nul ne sait si l’élection du 24 décembre renforcera cette paix ou la fera voler en éclat.
Si l’on se réfère à l’exemple irakien, l’espoir de voir la Libye se stabiliser par la seule élection d’un président est très mince. Depuis la chute du régime de Saddam, l’Irak a vécu cinq élections. Aucune n’a réussi à mettre en place un gouvernement accepté par tous, à stabiliser le pays et à remettre les Irakiens au travail.
D’ailleurs, les résultats des dernières élections législatives qui ont eu lieu au mois d’octobre dernier ont été contestés. Ils ont provoqué des manifestations violentes, avec de nombreux morts et blessés. Un attentat a même été perpétré contre le Premier ministre Mostafa al Kadhimi qui a failli y perdre la vie. Les perdants l’accusaient d’avoir « falsifié » les élections et exigeaient de le traduire en justice…
En Libye aussi, il y a eu des élections législatives en 2014. Elles ont été contestées par les perdants. Et, depuis, le pays est divisé entre l’est et l’ouest, entre Benghazi et Tripoli. Sans parler du Fezzan qui vit dans une autonomie de fait. Il n’y a donc aucune assurance que les résultats de la prochaine élection seront acceptés par les perdants.
Echec de la greffe démocratique
L’Irak d’aujourd’hui, tout comme la Libye de 2014, démontrent que la culture démocratique demeure un phénomène incompatible avec la mentalité arabe. La preuve en est que pas une seule tentative d’implantation de la démocratie dans un pays arabe n’a réussi. Un peu comme la greffe d’un organe qui échoue parce qu’à chaque tentative, le corps humain la rejette pour cause d’incompatibilité.
Le cas de la Tunisie est particulièrement révélateur à cet égard. L’échec de la greffe démocratique a engagé le pays dans les méandres de l’instabilité gouvernementale, la corruption, la panne interminable de l’appareil économique et l’endettement excessif.
Cependant, si la Tunisie a échappé au déchirement et à la guerre civile, c’est parce que le régime autoritaire de Ben Ali a été renversé, mais que l’Etat s’est maintenu. Et ce, malgré les infiltrations malfaisantes et les coups d’assommoir qui l’ont affaibli durant la décennie noire.
Ce n’est pas le cas de l’Irak et de la Libye, où les agressions des Etats-Unis et de l’Otan n’ont pas seulement provoqué le renversement des régimes de Saddam et de Kadhafi; mais elles ont carrément détruit les Etats. Livrant les deux pays à l’anarchie et au règne des milices armées et aux interventions étrangères. L’Iran dans le cas irakien et la Turquie dans le cas libyen.
Les dangers qui menacent le bon déroulement de l’élection du 24 décembre en Libye sont précisément les milices armées et la présence étrangère. La Turquie qui refuse de quitter le pays et les milices qui refusent de déposer les armes œuvrent la main dans la main. Et ce, pour empêcher l’émergence d’une armée et de forces de sécurité nationales. Elles œuvrent également la main dans la main pour faire avorter tout processus électoral dont les résultats ne sont pas favorables à l’islam politique. Elles ont réussi en 2014.
Alors, réussiront-elles encore une fois en 2021? C’est la grande question dont on connaitra la réponse le 25 décembre. Si toutefois l’élection se déroule comme prévu le 24.