Mohammed Abbou, qui était le premier homme politique en 2020 à prôner l’activation du fameux article 80 de la Constitution, accuse aujourd’hui le président de la République d’avoir « les mains tremblantes ». Et ce, quand il s’agit de lutter contre la corruption. De là à appeler à la désobéissance civile, le bouchon a été poussé trop loin.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le président de la République, Kaïs Saïed, se trouve aujourd’hui confronté à une situation insolite et paradoxale. Sinon comment expliquer qu’il soit quasiment abandonné par tous ses alliés traditionnels, et ils ne sont pas nombreux. Le dernier en date étant Mohammed Abbou. Alors même qu’il jouit d’un soutien populaire massif démontré par tous les sondages d’opinion?
La preuve? Pas moins de 88,5% des Tunisiens prévoient, selon le baromètre politique réalisé par Sigma Conseil pour le mois de novembre en cours, de voter pour lui, en cas de tenue de la présidentielle.
Pourtant, rien qu’hier mardi, le mouvement Echaab, principal et dernier soutien du président de la République, menaçait de rentrer dans l’opposition. Et ce, si la loi n°38 relative à l’emploi des diplômés au chômage n’était pas activée.
« Vendre les chimères aux Tunisiens »
De même, Mohamed Abbou, militant politique ayant connu les geôles de Ben Ali, ancien SG du Courant démocrate et ex-ministre d’État, change totalement son fusil d’épaule. Et ce, en tournant le dos à l’homme à qui il avait soufflé, en décembre 2020, l’idée de l’activation du fameux article 80. En le soupçonnant « de vendre des chimères aux Tunisiens », depuis qu’il a amputé la Constitution de la majorité de ses articles.
« Quand le Président avait eu recours à l’article 80, je l’avais aussitôt soutenu. Mais aujourd’hui ses idées sont absurdes et étranges. Kaïs Saïd a perturbé le fonctionnement des rouages de l’Etat. Au point que les ministres n’arrivent plus à prendre de décision sans, au préalable, se référer à lui. Il a de la sorte créé un état de peur générale dans le pays, notamment au sein de l’administration ». Ainsi, s’exprimait-il le lundi 22 novembre lors de son passage dans l’émission Midi Show sur Mosaïque FM.
« Les mains tremblantes » du Président
Mais que reproche-t-il à l’homme du 25 juillet? Ses hésitations et ses « mains tremblantes » en termes de lutte contre la corruption, éternel cheval de bataille de Mohammed Abbou.
« Le discours présidentiel sur la libération de la vie politique et du Parlement des corrompus n’est qu’une rhétorique populiste. Le chef de l’Etat aurait dû proposer des lois pour empêcher les corrompus d’accéder au Parlement et de gouverner, au lieu de vendre des illusions aux Tunisiens ». C’est encore ce qu’affirmait l’ancien SG d’Attayar. En soulignant que « le problème de la Tunisie n’est pas la constitution; mais plutôt une classe politique corrompue qui réussit à échapper aux mailles de la justice ».
Mais avertit l’ancien ministre d’Etat, « s’écarter de la Constitution, c’est s’écarter de la légitimité ». Ainsi, selon lui, « Kaïs Saïed aurait dû continuer le travail de justice transitionnelle. Et ouvrir les dossiers de ceux qui ont commis des crimes contre la Tunisie pendant dix ans. Au lieu de dire aux Tunisiens que tous leurs problèmes seraient effacés une fois la constitution modifiée ».
« Le Président a peur de combattre les corrompus. Et il s’est soumis aux pressions internationales pour ne pas toucher à certaines personnes », conclut-il, amer.
Outrance
Jusque là, le ton était mesuré, la critique pondérée. Cependant, Mohammed Abbou, avocat de son état, n’a-t-il pas franchi la ligne jaune en appelant sans vergogne à la désobéissance civile? Puisqu’il déclare: « J’appelle les Tunisiens à ne plus obéir à Kaïs Saïed et à ne plus appliquer ses consignes s’il persévérait dans sa démarche anticonstitutionnelle. Car il aura perdu toute légitimité ».
Drôle d’appel à la désobéissance civile. Quand on se rappelle que M. Abbou prônait dans un long post FB, le 9 décembre 2020: l’activation de l’article 80; la dissolution du Parlement sur la base des articles 89 et 98; le positionnement de l’armée dans les villes et toutes les zones de production; enfin, la mise en résidence surveillée des politiciens suspectés sérieusement d’être mouillés dans des affaires de corruption. Pas moins que ça!
Ne dit-on pas que l’Histoire a la mémoire courte?