En opposant un niet à l’application à la loi 38-2020 relative aux dispositions dérogatoires pour le recrutement de titulaires de diplômes supérieurs au chômage dans le secteur public, le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, a fini par intégrer les contraintes de la chose économique.
La loi 38-2020 portant dispositions dérogatoires pour le recrutement dans le secteur public que l’on disait à l’époque « révolutionnaire », s’est révélée l’exemple type d’un texte mal préparé, mal ficelé. Un texte rédigé à la hâte pour de viles raisons politiques, soi-disant pour préserver la paix sociale.
Mais, par un retour de manivelle dont l’Histoire a le secret, cette loi mort-née a fini par exploser au moment le plus inopportun. Car, d’une part, elle met à mal la crédibilité du président de la République; lequel avait paraphé ce texte, avant de se rétracter. D’autre part, le sacro-saint principe de la continuité de l’Etat a été sérieusement écorné. L’Etat étant incapable in facto d’honorer ses engagements envers les chômeurs diplômés de longue durée. Des citoyens fragilisés par d’interminables années de galère.
Discrimination positive ?
Faut-il rappeler que, suite à l’initiative législative du bloc parlementaire du Mouvement Echaab, cette loi fut adoptée le 13 août 2020. Le texte promettait aux diplômés supérieurs au chômage depuis dix ans et plus d’être recrutés dans la fonction publique.
Le hic, c’est que le recrutement se fait par un concours externe sur dossier. Ce qui est une grave entorse au principe fondamental de l’égalité des chances, pierre angulaire des chartes de la fonction publique.
En clair, il s’agit d’un cas de « discrimination positive ». Puisque cette loi privilégie une catégorie de citoyens, fussent-ils des chômeurs de longue durée, en leur accordant un emploi stable dans la fonction publique. Et ce, sans passer de concours.
Surprise et stupeur. Lors de sa rencontre à Carthage, vendredi 19 novembre en cours, avec le ministre de la Formation et de l’Emploi, Nassreddine Nsibi, le président de la République, Kaïs Saïed, révélait que « des milliers de personnes ont été recrutées, moyennant des diplômes falsifiés portant de faux cachets. Sur la base de leur allégeance et avec la complicité des parties qui les leur ont accordés ».
Machiavélisme
Avant de lâcher une bombe: « La loi du 13 août 2020 a été mise en place, comme outil de gouvernance pour contenir la colère […] et non pour être mise en exécution ». Soulignant à l’occasion que « la fonction publique ne supporte plus de recrutements. Et que ceux qui l’ont élaborée n’ont fait que vendre des illusions et des rêves ».
Puis, il martelait: « Le pays ne peut être assaini, qu’après l’assainissement des institutions de l’Etat de ceux qui ont voulu faire tomber l’Etat, abuser de ses ressources; et ont laissé les jeunes dans le dénuement et la privation et leur ont vendu des illusions mensongères ».
En bref, cette loi scélérate était promulguée, comble de machiavélisme pour absorber la colère des titulaires de diplômes supérieurs en leur vendant du vent; non pour être appliquée.
Mais alors, pourquoi le Président paraphait-il cette loi « révolutionnaire »? En vérité, avait-il le choix, lui, le chantre de Echaab yourid?
D’autant plus que la loi en question stipule que le recrutement touche un individu de chaque famille dont tous les membres sont au chômage. Et qu’un pourcentage d’au moins 5% des recrutements annuels dans la fonction publique est réservé au profit des personnes handicapées.
Lucidité
La vérité, c’est qu’en mettant les mains dans le cambouis, étant au four et au moulin dans la gestion des affaires courantes de l’Etat, le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, a fini par comprendre la dure réalité du mécanisme économique. De plus, quel signal envoyer aux bailleurs de fonds, notamment le FMI, en augmentant l’effectif et la masse salariale sous n’importe quel prétexte. Même noble.
Enfin, en prenant la décision courageuse de s’opposer à l’application de la loi 38-2020, Kaïs Saïed a fini par endosser le costume présidentiel. En tournant le dos au populisme qui consiste à « vendre du vent aux voiliers », selon notre succulent adage populaire. Et c’est tant mieux.