Divine surprise ! L’annonce par le ministre de l’Economie et de la Planification d’un plan de relance au milieu d’un désespérant vide institutionnel, politique et économique. Signe que le gouvernement ne veut plus se fier au seul effet du hasard. Le plan, c’est connu, c’est l’antihasard.
En prendre conscience, c’est déjà l’affirmation d’une volonté de rupture, bref, c’est le commencement de la sagesse, après qu’on s’est égaré en hissant le très court terme au rang d’une religion. Oser s’affranchir de la dictature de l’urgence annonce le retour de l’État. Et de sa capacité de concevoir et d’assumer un plan de relance et de redressement d’une économie privée de moyens, de visibilité et d’horizon.
Celui que vient d’annoncer le ministre de l’Economie et de la Planification est ce qui peut nous arriver de mieux. Même si à ce stade de la réflexion, on en ignore la nature et les secteurs cibles.
Pas plus que les mécanismes de financement et les montants qui seront débloqués et injectés à cet effet, alors que l’État, déjà lourdement endetté, peine à payer les salaires et les retraites de la fonction publique.
« Oser s’affranchir de la dictature de l’urgence annonce le retour de l’État »
Il n’empêche, l’idée même d’un plan de relance concomitamment et dans la perspective d’un plan de développement 2023-2025 sonne le réveil, introduit une note d’espoir et tranche avec la morosité ambiante. Un déclic nécessaire à l’image d’un rayon de soleil dans la grisaille du moment. Qu’importe, si, pour l’heure, les fonds manquent le plus.
L’essentiel, c’est de le vouloir, de le proclamer, d’y croire pour pouvoir entraîner dans un même élan les acteurs politiques, économiques et sociaux.
L’idée d’échafauder un plan de relance, au pire moment de pénurie de liquidités et de capitaux, est moins farfelue et fantaisiste qu’elle n’y paraît.
L’engagement et la sincérité du ministre de l’Economie font plutôt penser à l’affirmation d’une politique volontariste et d’une ambition, sans lesquelles on ne peut rien entreprendre. Ce sont les idées réfléchies et résolues qui font et créent l’argent et non l’inverse. C’est la preuve que le futur de la Tunisie est ce que nous voulons qu’il soit.
Le plan de relance, c’est à la fois une chance et une impérieuse nécessité. Tous les acteurs doivent y concourir.
La BCT en premier, au moyen d’une politique monétaire plus accommodante pour faire baisser le loyer de l’argent.
Le syndicat ouvrier, en mettant sous cloche ses revendications salariales pour donner un peu plus d’air aux entreprises, au mieux convalescentes quand elles ne sont pas à l’agonie, menacées de faillite.
Le patronat n’est pas en reste, il lui faut, en ces temps difficiles, puiser dans ses ultimes réserves et ressources pour préserver ce qui reste de cohésion et de paix sociales.
« L’engagement et la sincérité du ministre de l’Economie font plutôt penser à l’affirmation d’une politique volontariste »
Reste l’État, le grand ordonnateur dont la législation, les faits et gestes, aussi brutaux qu’imprévisibles, inhibent plus qu’ils n’incitent, interdisent plus qu’ils n’autorisent. Et que dire de l’enfer bureaucratique qui a contraint près de 50% de l’économie à la clandestinité, au grand dam des contribuables et de… l’État lui-même.
L’État doit, pour donner toutes ses chances au nouveau plan de relance, retrouver le rôle qui doit être le sien : créer les conditions d’une reprise de l’activité, injecter autant d’argent que de confiance, libérer les énergies, inciter à l’effort, plutôt qu’instituer l’assistanat. Et surtout veiller à ne pas se contredire lui-même en s’égarant dans les méandres de l’incohérence.
Que vient faire, en effet, un durcissement des droits de douane (DD) sur près de 1.500 produits importés, sans discernement et sans distinction entre produits superflus et biens intégrés dans la production : matières premières, biens d’équipement, semi-produits ? Au nom de quelle rationalité prend-on le risque de briser l’espoir d’un plan de relance en grevant les charges des entreprises, largement exposées ?
Comme s’il ne suffisait pas qu’elles soient lourdement endettées, handicapées de surcroit par un fort taux d’intérêt et aux prises avec des revendications salariales – inflation oblige – qui mettent en péril leur fragile équilibre financier.
« Que vient faire, en effet, un durcissement des droits de douane (DD) sur près de 1.500 produits importés, sans discernement et sans distinction entre produits… »
La hausse – doublement des DD -, si elle se confirme, aura l’effet d’un assaut final qui sonnera le glas d’un nouveau contingent de PME/PMI parmi les rescapées de la Covid-19.
Cela revient à planter le dernier clou dans le cercueil des PME, qui ne résisteront pas à ce brutal choc douanier. Dont la puissance fera basculer au mieux un grand nombre de ces entreprises, celles qui le pourront, dans l’informel. L’État a plus à perdre en termes de rentrées fiscales qu’à gagner en surtaxant les importations.
On ne sort de la crise que par le haut, en stimulant le goût du risque, l’envie d’entreprendre, d’investir et d’exporter. C’est notre seule planche de salut. C’est en développant nos exportations qu’on améliorera nos moyens de protection et de défense.
« L’État a plus à perdre en termes de rentrées fiscales qu’à gagner en surtaxant les importations »
Le coût des importations productives pèse lourdement sur les charges des entreprises, notamment exportatrices. Celles-ci ont plus besoin de soutien à l’export que de DD supplémentaires, dont sont exonérés nos compétiteurs étrangers. La compétitivité, déjà en berne, s’en ressentira davantage.
Nos entreprises ne seront pas assurées de conserver leurs parts de marché extérieur en régression continue et ne résisteront pas à la déferlante de biens étrangers.
Nos deux vaillantes ministres des Finances et du Commerce et du Développement des exportations ont mieux à offrir à nos entreprises, qui jouent leur survie, que la seule perspective du dépôt de bilan ou, au mieux, l’immersion dans les profondeurs de l’économie souterraine.
Trop d’impôt dans un pays ravagé par dix années de destruction massive de richesse, de valeur et d’emploi, ne tue pas que l’impôt. Il fera en la matière exploser le chômage, qui est déjà à son niveau de rupture. Et qu’adviendra-t-il du plan de relance perçu comme notre ultime espoir ?