Est-il permis politiquement et surtout sur le plan d’éthique que le Président de la République qualifie l’un de ses rivaux politique, de surcroit un président de parti, de « voleur »? Alors qu’il a été dûment innocenté par la justice?
Il était dans tous ses états. Furieux, le visage crispé, la voix vibrant de colère. Le président de la République, Kaïs Saïed ne trouvait pas assez de mots pour fustiger un monsieur « qui se présente comme un grand expert en économie; lequel prétend avoir les solutions pour sortir la Tunisie de son marasme économique. Alors, qu’en vérité, il traine des casseroles de malversations financières. Mais, « malheureusement », il a obtenu, on ne sait comment, un non-lieu de la part de la Cour de Cassation, une justice aux ordres. Bref, il s’agit d’un voleur dont la place est la prison » !
Mais de qui s’agit-il pour que le chef de l’Etat lui consacre, sans jamais le nommer expressément, une partie de son discours de 18 minutes, prononcé lundi 6 décembre. Et ce, en présence de quatre plus hauts magistrats en Tunisie, en l’occurrence: Youssef Bouzakher, président du Conseil supérieur de la Magistrature; Malika Mzari, présidente du Conseil de l’ordre judiciaire; Abdessalem Mehdi Grissiâ, premier président du Tribunal administratif; et Mohamed Nejib Ktari, président de la Cour des Comptes?
Crime de lèse-majesté commis par Fadhel Abdelkefi
On saura plus tard que le « monsieur » en question, objet de l’ire présidentielle, n’est autre que Fadhel Abdelkefi, le président d’Afek Tounes. On se frotte les yeux devant une telle haine déversée en public. Contre un homme politique qui osa, crime de lèse-majesté, critiquer l’absence de vision économique chez le président de la République, tout en proposant des solutions.
Excusez du peu, le « monsieur » en question était le ministre de Coopération internationale; et ce, avant de coiffer le département des Finances. Donc, il sait de quoi il parle, au contraire de son accusateur…
Rappelons à ce propos que lorsqu’il était ministre des Finances, Fadhel Abdelkefi était épinglé en 2018 pour une affaire d’infraction douanière. Et ce, quand il présidait l’intermédiaire en bourse Tunisie Valeurs. Il démissionna de ses fonctions pour mieux se défendre et obtint un non-lieu de la Cour de Cassation. Un acquittement en bonne et due forme qui ne suffit pourtant pas à convaincre le Président de son innocence.
Règlement de comptes
Alors, c’est à se demander si tant de rancœur ne provient pas de la crainte d’un potentiel rival politique. Sachant qu’il est en train de se positionner sérieusement sur la scène politique. Car il propose des solutions concrètes, alors que le Président est à mille lieux de la chose économique?
C’est à se demander également si Kaïs Saïed n’a pas un problème personnel à régler. Et ce, avec l’un des oncles de Fadhel Abdelkefi, notamment Yiadh Ben Achour. Lequel qualifia publiquement l’événement du 25 juillet de « coup d’Etat »?
« Discours clivant »
Ainsi, l’ancien ministre des Finances ne tardait pas à réagir. Effectivement, il s’exprimait le 7 décembre 2021 sur les ondes de la radio IFM. Il estime donc que les discours du président de la République « sont orientés vers l’inconnu ». « Il ne m’a pas cité directement, mais il faisait probablement allusion à ma personne. Le président de la République se comporte-t-il en tant qu’homme d’Etat censé contrôler ses nerfs? Ou divise-t-il les Tunisiens à travers un discours agressif? »
Puis, il déplorait « l’incapacité du président de la République à écouter les avis et les propositions des autres ». A cet égard, Fadhel Abdelkefi admet « qu’il y a peut-être un désaccord au sujet du mode de développement, de l’analyse de la situation. Il a le droit de ne pas être d’accord avec une personne; mais il doit convaincre en usant d’arguments et de statistiques ». Et non en ayant recours aux insultes gratuites, avait-il l’élégance de ne pas insister.