Fidèle à ses habitudes, Rached Ghannouchi se lave les mains de la responsabilité de son parti dans le suicide d’un ancien employé. Lequel s’immolait par le feu. Et ce, au cœur même du bastion d’Ennahdha à Montplaisir. Tout un symbole.
Ne dit-on pas que l’histoire est un perpétuel recommencement? Le 17 décembre 2010, un vendeur ambulant, Mohammed Bouazizi, s’immolait par le feu aux alentours du marché municipal de Sidi Bouzid. 11 ans plus tard, presque jour pour jour, Sami 51 ans, se transformait en torche vivante au siège principal du mouvement d’Ennahdha à Montplaisir. Tout un symbole.
Terribles scènes de panique au siège d’Ennahdha
Hier, dans la matinée pluvieuse du jeudi 9 décembre, on assista à des scènes de panique et à des images spectaculaires. La chaîne Al Jazeera les retransmettaient en direct. Ainsi, on pouvait voir des personnes se défenestrant d’un immeuble flambant neuf de six étages. Tentant d’échapper aux flammes qui ravageaient le rez-de-chaussée, puis les premiers étages, de la tour de Montplaisir.
De même, on regardait médusé, en direct, l’image d’Ali Laarayadh, l’ancien Premier ministre et vice-président d’Ennahdha. En effet, celui-ci, encerclé par les flammes, asphyxié par la fumée, pris au piège au deuxième étage, hésitait longuement; avant de se jeter dans le vide. En outre, un autre dirigeant nahdhaoui de premier plan, Abdelkarim Harouni, était hospitalisé des suites de brûlures. Après avoir lui aussi tenté d’échapper aux flammes.
Bilan: un décès et 18 blessés dont 16 asphyxiés par la fumée.
Mort par dépit
« Un corps carbonisé a été retrouvé à l’intérieur du siège du parti. L’identité de la personne en question a pu être déterminée. Il s’agit d’un natif de 1970, résidant à Cité Ettahrir, qui a déjà travaillé en tant qu’agent d’accueil (au siège de Montplaisir. NDLR) ». Ainsi indiquait le communiqué rendu public le jour même par le ministère de l’Intérieur.
Or, selon nos sources, la victime était un militant nahdhaoui qui avait passé dix ans dans les prisons de Ben Ali. A sa libération, le mouvement l’embaucha comme agent d’accueil au siège principal d’Ennahdha. Et ce, avant qu’il ne soit abusivement licencié. Vivant dans la précarité la plus totale, il se serait rendu à maintes reprises à Montplaisir pour chercher à récupérer les indemnités de son licenciement. Alors, il aurait demandé en vain à être reçu par Ghannouchi en personne. Mais devant les fausses promesses de la direction d’Ennahdha et le mépris affiché de ses interlocuteurs, il s’est donné la mort. Et ce en s’arrosant avec un bidon d’essence et s’immolant.
Manœuvres de diversion
Bien entendu, dans son intervention après ce terrible drame, Rached Ghannouchi a eu recours, comme à l’accoutumée, à une vile diversion. Puisqu’il omettait sciemment d’admettre que la victime était un pauvre bougre qui travaillait pour lui et qui fut jeté dehors comme un malpropre.
Bien entendu, le cheikh de Montplaisir s’est disculpé du drame qui venait de se dérouler. Et ce, pour l’imputer à l’Etat et aux « ennemis de la révolution ». Lesquels ont empêché « l’aboutissement du processus de la justice transitionnelle, ainsi que le dédommagement des nahdhaouis ».
« Sami a passé plus de dix ans en prison pour s’être opposé à la dictature et la tyrannie. Et même après la révolution qui avait emporté le dictateur, Sami n’a pas réussi à avoir un minimum de vie décente. Et ce, malgré les décisions de l’Instance de la Vérité et la Dignité, dont les recommandations sont restées sans suite. Sami est la victime de la guerre médiatique ayant visé les militants d’Ennahdha, même dix ans après la révolution ». Ainsi déclarait-il sans rougir, en le qualifiant de martyr.
A cet égard, il n’y a pas de doute que le geste symbolique de Bouazizi fut l’étincelle déclenchant la Révolution et le départ de Ben Ali. Alors, le geste de désespoir au cœur du bastion du parti islamiste d’Ennahdha est-il le signe avant-coureur que c’est le début de la fin pour celui qui se la coulait douce à Londres; alors que ses compagnons croupissaient dans les geôles de Ben Ali?