La vie, c’est-à-dire l’ensemble des fonctions essentielles qui assurent notre existence, aurait-elle un coût? C’est-à-dire un prix qui, s’avérant ruineux, nous empoisonnerait l’existence. En revanche, si les biens nous étaient accordés sans contrepartie ni compensation, le prix de la vie serait du coup un don de la fortune donnant à notre séjour sur cette terre, de la naissance à la mort, un goût de bonheur. Ainsi, alors que certains vivraient avidement, d’autres, qui constituent la majorité des gens, seront condamnés à mener une vie qui ne sert à rien, qui revient à son inutilité première.
Pour consoler cette dernière catégorie, économistes et statisticiens, pour qui la vie se réduit en chiffres, ont inventé une méthode d’analyse confortable moralement; mais qui a toutes les chances de conduire à l’inverse de ce qui est recherché, qu’ils appellent « l’Indice du coût de la vie ». Et par laquelle ils mesurent, sur la base de formules de calcul frustes et imprécises, l’évolution relative des prix de détail dans le temps et dans l’espace.
Ainsi, dans un panier type, où se confrontent le ressenti des salaires et la réalité du pouvoir d’achat, ils y fourguent plusieurs articles et produits de qualités et de quantités constantes. Lesquels entrent dans la composition du budget d’une famille moyenne, qui n’est pas une famille réelle. Et qui sont actualisés chaque année, nonobstant les habitudes de consommation et les exigences des consommateurs.
Or cette « famille moyenne », qui bénéficie d’un salaire « moyen », ne se trouve nulle part excepté dans la tête de l’économiste-statisticien qui peut avoir la tête dans un four et les pieds pris dans la glace et dire qu’en « moyenne » il se sent bien.
Par conséquent, le ménage représentatif, fournissant le budget sur lequel se base l’indice du « Coût de la Vie », s’avère être une pure abstraction qui vise l’essence du concret donné pour aboutir au concret pensé.
Entre aussi dans leur calcul les variations du pouvoir d’achat correspondant à un pays de quasi plein-emploi. Or, c’est dans la question des formes d’emploi – et de non emploi, que se situent les enjeux majeurs. A savoir : emploi précaire, flexible, à durée déterminée et surtout informel, rendu inéluctable par la persistance du chômage et dont les évaluations chiffrées varient du simple au déculpe. La répétition de chiffres lancés plus ou moins au hasard est souvent le seul fondement de leur pertinence.
De plus, la période au cours de laquelle une famille dépense pour sa subsistance annuelle une moyenne d’un revenu déterminé, s’établit durant un intervalle tout aussi arbitraire.
Coût de la Vie
De toutes ces explications, il ressort clairement que l’indice officiel du « Coût de la Vie », supposé refléter le revenu le plus courant des familles tunisiennes, ne s’applique qu’à un monde imaginaire. un monde où toutes habitent au même endroit, ont le même revenu annuel, achètent les mêmes produits et partagent un seul mode de vie.
Tout cela fait de cet indice une mesure artificielle, calculée avec autant de justesse qu’a pu le permettre le ménage qui a fait l’objet des enquêtes budgétaires. Mais cela n’en reste pas moins une estimation. C’est-à-dire un barème, une échelle d’étiage dans la mesure où l’indice apprécie les changements survenus dans le coût de la vie et non dans les régimes de vie. En raison des circonstances particulières qui entourent la vie de certaines familles, par la non prise en compte des atteintes à la santé et à la survie, le coût de la vie augmente de façon beaucoup plus marquée que l’indice qui l’exprime. Un mot qui révèle lui-même une tendance et non une preuve. Enfin, l’idée même d’une évaluation monétaire de la vie humaine est répulsive par l’établissement d’une équivalence entre une vie et une somme d’argent.
Stratégies de survie
Or, au rythme de l’actuelle hausse démesurée des prix, les rapports rédigés sur la valeur moyenne attribuée à la vie des habitants du pays sont déjà caducs, avant même leur publication. Le revenu bien aléatoire de la plupart des ménages n’offrant plus qu’une vie misérable qui ne génère que l’indignation.
En effet, faire ses courses aujourd’hui revient à réussir à « résoudre » la journée et expose le chaland désargenté à un drame quotidien fait d’insécurité alimentaire et de frustration économique. Ils laissent peu de place à tout intérêt pour la politique et les politiciens avec leurs ronds de jambes et leurs promesses fumeuses. Les gens préfèrent de loin développer des stratégies de survie pour résoudre leurs problèmes quotidiens. Et c’est là que va toute leur énergie.
En Tunisie, en matière de prix, on ignore encore jusqu’à quand durera cette descente aux enfers. Ce dont on est sûr en revanche, c’est qu’il n’y aura pas de répit sur le front de l’inflation. Et que la hausse des prix, qui gagne tous les secteurs de production, demeure la plus grande préoccupation de la population. Sa maîtrise étant le plus grand défi pour le pouvoir, quel qu’il soit.
Ainsi en est-il de l’augmentation des produits alimentaires, des carburants, du tarif des transports, de l’électricité et du gaz, du m3 d’eau, du logement, de la santé; de tout quoi! Cette hausse des prix constitue un revers de plus pour un président de la République défenseur de l’intérêt commun et du pouvoir d’achat des plus démunis. D’ailleurs, il n’arrête pas de dérouler son chapelet de bravades, de fanfaronnades et de menaces contre tous ceux qui condamnent à la misère le peuple (qui veut).
L’imminence d’événements graves
Aujourd’hui, tous les éléments indispensables de nos préparations culinaires, tous les marqueurs organoleptiques de nos plats, tous les ingrédients obligatoires pour la réalisation de nos sauces, tous les composants protéiques adaptés à nos ragouts, sans oublier les substances à saveurs douces indispensables à la confection de gâteaux et confitures, rappellent que la crise qui perdure et appelée à s’aggraver est d’abord dans les cuisines.
Elle nous ramène, à travers les vicissitudes qui l’accable, aux éléments fondamentaux du quotidien: le panier dégarni de la ménagère. Ce réceptacle de nos habitudes de consommation, charriant nos craintes et nos espoirs, est le seul à pouvoir conditionner les échecs et les réussites d’une politique en cours et à venir. Un révélateur qu’arrive difficilement à couvrir l’interminable brouhaha de la vie politico-médiatique.
Ainsi, la hausse inexorable des prix que nous subissons et que le gouvernement tient pour une fatalité en dépit de l’abondance des produits, révèle l’existence d’un malaise qui va croissant et se généralise dans l’ensemble de la société. Y compris parmi les exaltés de Kaïs Saïed. Ce malaise suscite l’impression obsédante que « les choses ne peuvent pas continuer comme ça » et préjuge de l’imminence d’événements graves.
L’alimentation est incontestablement le premier poste du budget des ménages les plus modestes, qui y consacrent plus du quart, parfois la moitié, de leurs dépenses; sans parvenir pourtant à se nourrir convenablement. Les deux produits alimentaires qui pèsent le plus lourd dans leur budget sont d’une part la viande, les poissons et le poulet; et, d’autre part, les produits laitiers, les fruits et légumes, l’huile et les boissons non alcoolisées (thé, café, eaux minérales, sodas et jus de fruits). Ces grandes familles de produits constituent environ 80% du montant de la consommation alimentaire des ménages.
Viennent ensuite le pain, les céréales et le sucre dont les prix demeurent relativement stables grâce à l’intervention de l’Etat. Une bienveillance aujourd’hui exposée à l’épreuve de la rigueur budgétaire et des inévitables réformes structurelles.
Parce que nous avons vécu au-dessus de nos moyens et à crédit, des milliards d’économies doivent être réalisés principalement sur le dos des moins nantis.
Dans la mesure où, pour beaucoup d’entre nous, l’horizon sera bientôt celui de la nécessité, voyons comment on peut réduire davantage le montant des dépenses alimentaires sans mourir de faim. Ce régime, autrefois dicté par la contrainte, va devoir être repensé au regard à la fois des moyens financiers et de la diététique. Cuisine pauvre, cuisine des pauvres, autant d’expressions toute trouvées pour désigner ce répertoire du peu et du presque rien qui se serait forgé au fil des siècles chez les plus indigents.
En Tunisie, les tomates en conserve ont connu depuis l’année 2013 de fortes hausses. Le prix de l’huile d’olive est passé de 4. 800 DT à 14.000 DT. Celui de l’huile de maïs et de tournesol est à plus de 6 DT. De même, la hausse du prix des fourrages destinés à l’engraissement des animaux se répercute régulièrement sur celui de la viande et du lait.
Devant cette inexorable tendance à la hausse, la mère de famille doit apprendre à vivre en consommant moins. Tout en tenant serré son budget et en pourvoyant aux besoins du ménage. Pour cela une règle d’or, aujourd’hui de plus en plus enfreinte: patience et sobriété.
Compenser l’absence, suppléer au manque. Il faut commencer tout d’abord par réduire les portions à servir, en gardant toujours le sourire, surtout la viande, le poulet et les poissons. Savoir patienter pour ne manger que les fruits et les légumes de saison.
Compenser l’absence, suppléer au manque
En somme, manger moins, acheter des produits moins chers et consommer une nourriture moins diversifiée. Acheter des fruits et légumes locaux, toujours plus abordables que les produits sans goût cultivés sous serre ou hors de nos frontières. En les épluchant, il faut enlever le moins possible de la surface des légumes, ou des fruits et récupérer au maximum les parties comestibles. Comme par exemple: les feuilles de radis et de navets; les côtes vertes de choux fleurs; sans oublier le plumet de fenouils très utile pour le couscous.
Pour les fritures, il est recommandé de régler l’intensité du feu pour que l’huile ne dépasse jamais le stade d’émission de fumée qui la rendra malsaine. Laisser ensuite les aliments frits s’égoutter et filtrer l’huile de cuisson pour réutilisation. Cependant il faut, tant que faire se peut, éviter la friture qui revient chère et lui préférer une cuisson à la vapeur.
Mais revenir aux plats traditionnels devient de plus en plus coûteux, car ils exigent avant tout la viande ou le poisson. Il faut savoir alors se contenter de sauces bien assaisonnées, suffisamment liées et abondantes pour « faire manger du pain » et faire oublier l’absence de viande. Varier les soupes car elles ne reviennent pas très cher. En effet, elles sont d’excellentes préparations de récupération et allongent la durée des repas.
Sur ce chapitre, la ménagère tunisienne n’est jamais à court d’idées. Comme il faut manger du poisson, il faut se résoudre à acheter n’importe lequel, pourvu qu’il soit bon marché. Et le préparer de manière à conserver ses valeurs nutritives, en le servant avec un peu d’huile et du citron. La viande rouge étant hors de portée, reste les abats et la triperie: cervelle, langue, rognons. Imaginer, par exemple, des soupes de légumes secs et céréales aux tripes de bœuf. Côté dessert, le marché offre des produits très élaborés, abordables, mais pas toujours sains. On peut dans cas se contenter des yaourts de base, qu’on agrémentera de confiture ou compote; préparer des cakes au raisins secs; des crêpes maison, faciles, légères et très bon marché.
Si la transition politique s’est achevée avec un certain succès, comparée à nos voisins, la transition alimentaire est moins triomphale.
Les objectifs en matière de réduction des déficits seront bientôt perceptibles dans nos assiettes dont les rations diminueront de jour en jour.
Cependant, il ne faut pas croire que la cuisine tunisienne, dans son extrême variété a été créée ex nihilo ou le fruit de l’abondance. Elle a été élaborée, au fil des siècles, par des apports successifs. Et la pratique populaire courante avait su accommoder, surtout en temps de crise, avec intelligence et discernement, les différents produits et ingrédients disponibles. Et ce, afin de lutter contre la pénurie, la cherté ou le manque de moyens. Elle a ainsi réussi à assurer le maintien de la vie, tout en conjuguant plaisir et équilibre. Conseillant la modération, condamnant de façon catégorique les excès et la gourmandise.
Aujourd’hui une autre cuisine adaptée à la rigueur des temps ne manquera pas de se révéler dans nos assiettes. Avec peut-être des résultats inattendus. La nécessité n’est–elle pas mère de l’invention?
Imminente et douloureuse restructuration de l’économie
Dans la perspective d’une imminente et douloureuse restructuration de l’économie dictée par le FMI et les privations qui iront avec, la gestion de la pauvreté doit bénéficier davantage d’initiatives publiques, privées et associatives. Elles sont destinées à convaincre qu’il est toujours possible de faire plus avec moins, beaucoup moins. Une pédagogie qui permettrait de combler le revenu qui s’écrase, le mal-logement qui ronge le budget, le stress qui épuise, l’endettement inévitable, le report de soins par manque de moyens, le temps consacré à la débrouille de survie.
Manger est généralement un plaisir. Mais c’est aussi une condition sine qua non à notre survie. Indépendamment de notre manque de volonté, ou de notre gourmandise, qui nous pousse parfois un peu trop souvent à des dépenses inconsidérées, combien de temps notre corps pourrait-il vraiment se passer de nourriture?
Pour vivre tout simplement, notre corps à besoin d’énergie. Des protéines, des glucides et des lipides qu’on trouve dans les aliments que nous mangeons. Il est toutefois admis par la médecine nutritionnelle qu’on peut vivre 30 jours sans manger, alors qu’on ne peut pas vivre plus de trois jours sans boire. Et la durée de cette privation pourrait même se prolonger pour des personnes obèses. Certes, nous maigrirons à vue d’œil et au-delà des deux premières semaines, notre corps puisera dans ses réserves de graisse et dans nos muscles.
Alors profitons-en en attendant des jours meilleurs. Les plus audacieux d’entre nous pourraient toujours assimiler ce jeûne forcé à une grève de la faim pour défendre une juste cause. La grève de la faim n’est-elle pas aussi une action pour la vie? Certes paradoxale, puisque les personnes revendiquent la vie à tout prix, tout en affichant une mort annoncée.